lundi 27 août 2007

Vidéo : AFRIQUE 50 de René Vautier (1950)

AFRIQUE 50 de René Vautier : Premier Film Anticolonialiste (1950)




René Vautier
René Vautier est né en 15 janvier 1928 à Camaret. Il est engagé dans la Résistance, alors qu'il était en sixième ou en cinquième, dans un lycée à Quimper. A la fin de la guerre, il reçoit la Croix de guerre, mais, marqué par son expérience, il est déjà antimilitariste, pacifiste et non-violent. Il intègre l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (IDHEC) en étant reçu premier à l'écrit, deuxième à l'oral, au concours d'entrée. Il en sort diplômé en 1948, section réalisation/production. Dès lors, René Vautier filme, filme... Il est un des témoins du siècle. Sa caméra se tourne vers les Africains colonisés, vers l'Algérie en guerre, vers Portsall, vers l'Afrique du Sud, vers Chateaubriand, vers la Tunisie, vers Mururoa, vers Brest, vers le Zimbabwe, vers l'Argentine, vers l'Ile de Sein, vers la Cornouaille... vers Gilles Servat, Alan Stivell, Glenmor, vers la lutte des femmes, vers les torturés de Le Pen de la Guerre d'Algérie, vers les Bretons ramassant le mazout de L'Amoco Cadiz, vers les Algériens dans leur lutte pour leur indépendance...

Histoire du film

En 1949, la Ligue de l'enseignement propose à René Vautier de réaliser un film montrant "comment vivent les villageois d'Afrique occidentale française". Ce film est destiné à être montrer aux élèves des collèges et lycées de France. En accompagnant une équipe de routiers éclaireurs de France, il doit ramener des images sur la réalité africaine, puis en faire un montage. Vautier arrive donc en Afrique à 21 ans, sans idées préconçues. Cependant, de son périple africain, sortira le premier film anticolonialiste français.

Sur le sol africain, Vautier est accompagné par le gouverneur. Ce-dernier tend à conseiller à Vautier de filmer les ananas du jardin de l'Office du Niger, alors que le documentariste était plus intéressé par les galériens noirs qui manoeuvraient à bras les vannes d'une écluse d'un barrage qui alimentait en électricité les maisons des blancs, mais pas le barrage : les Nègres coûtent moins cher... Vautier est révolté par le vrai visage du pouvoir colonial. Pendant près d'un an, en partie accompagné par Raymond Vogel, il parcourt le Mali, la Haute Volta, la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Burkina Faso. Et il filme, grâce aux Africains qui le protègent. De nombreuses péripéties marquent le tournage.

Les bobines sont ramenées par petits bouts, par des amis africains qui rentrent en France. De retour en métropole, Vautier les amènent à la Ligue de l'Enseignement, mais la police est là pour saisir les négatifs. Le Ministère de l'Intérieur les développe. Alors qu'il doit reconnaître avoir filmé chaque bobine, Vautier arrive à subtiliser 21 bobines (sur 60) en présence de policiers. Vautier fait le montage, puis la sonorisation en direct lors de la projection du film, en face du bureau du policier chargé de le saisir !

La diffusion du film ? militante !

Le film a donc été monté et sonorisé, mais il n'existe pas, puisque c'est le Ministère de l'Intérieur qui est censé être en possession de toutes les bandes. Des copies sont tirées grâce à la complicité de la société Tirage 16. La première diffusion a lieu à Quimper, dans la salle du gymnase municipal, d'autres suivent à Brest, Lorient... puis dans toute la France par l'intermédiaire des mouvements de jeunes. Entre 600 et 700 000 personnes ont probablement vu ce film, lors de sa "sortie".

Ce que montre ce film

Afrique 50 est une invitation à suivre Vautier lors de son périple africain ; dès la première phrase, la présence française en Afrique apparaît autoritaire : "Les seuls blancs qui sont entrés avant toi dans ce village sont ou bien l'administrateur qui venait prendre l'argent pour l'impôt ou bien le recruteur qui venait prendre les hommes pour l'armée". Voilà qui annonce le ton du film. Puis, le spectateur est invité à suivre les enfants noirs dans leur village. Pour chaque élément, Vautier dit la réalité tel qu'il aurait dû la représenter pour la Ligue, mais à chaque fois, il montre ce qui se cache derrière cette réalité. Par exemple, les enfants semblent insouciants lorsqu'ils jouent ou se baignent dans le Niger, "mais que feraient-ils d'autre ? Il y a place dans les écoles d'Afrique Noire pour 4% des enfants d'âge scolaire, juste le pourcentage suffisant pour que l'administration ait des greffiers et les compagnies coloniales des comptables."

Le réalisateur s'intéresse ensuite à l'oppression française : "Regarde ce qui guette les villages africains (...) Ici une enfant de sept mois a été tuée, une balle française lui a fait sauter le crâne (...) en notre nom à nous, gens de France ! (...) Des noms de villes sonnant aux Africains comme des Oradours..." Voici en quelques lignes quelques éléments apportés par Vautier dans son film.

C'est la voix de René Vautier qui résonne sur la bande-son. L'acteur pressenti pour dire le texte écrit s'étant, sous une probable pression ou un manque de courage, rétracté au dernier moment, Vautier a lui dit le texte de ce film en improvisant (car l'acteur avait la seule copie du texte). Sa voix tremble, et fait trembler le spectateur, lorsque Vautier scande les noms des bourreaux et des compagnies coloniales qui exploitent, maltraitent, assassinent les Noirs.

Ce film est donc le premier film anticolonialiste. Le film fut pendant de très nombreuses années interdit car sans existence reconnue et donc sans visa. En 1997, le Ministère des Affaires Etrangères lui remet une copie de son film "courageux et nécessaire", montrant que dans les années 50 existait en France un sentiment anticolonialiste fort. Vautier refuse toujours de demander un visa et "attend qu'on pousse le cynisme jusqu'à lui saisir une nouvelle fois ce film qu'on lui a d'abord détruit puis offert". Ce film a probablement marqué Vautier dans son engagement qui sera le sien, notamment lors de la guerre d'Algérie.

Source : http://mael.le.hir.free.fr

samedi 25 août 2007

UM NYOBÈ RUBEN, sa Vie, Son Combat, Son Oeuvre

(1913 - 1958)

« Ruben Um Nyobè par son engagement tenta à son époque de modifier l’ordre colonial, et la vision de l’homme, de la production de la vie et de la culture qui le sous-tendait […] Ce personnage-charnière est incontournable dans l’histoire du Cameroun…par-dessus tout, il ouvre une période politique et culturelle nouvelle au Cameroun : celle de l’invention d’une identité nationale.


Il avait ordonné son activité intellectuelle autour d’un projet de rupture avec l’ordre colonial. En transcendant l’horizon politique proprement local, il tenta d’organiser intellectuellement la rupture avec l’ordre colonial en inoculant, dans la formation culturelle de son époque, des énoncés porteurs de conflits nouveaux et étalés sur une échelle nationale. L’originalité d’Um Nyobè fut d’articuler intellectuellement la question de la distribution de la compétence politique au sein de la société de son temps. Ce faisant, il heurta de front la théodicée et les rites de l’État colonial. Il construisit les outils culturels et échafauda l’équipement mental susceptible d’aggraver la prise de distance par rapport à la logique d’exclusion coloniale. Toute sa réflexion est l’expression du refus des Africains de se laisser déposséder des instruments de production du politique à l’époque. Um Nyobè tenta de dés-absolutiser l’évènement colonial. Il voulut le ramener dans le champ de ce qui méritait discussion, alors même qu’il prétendait se situer hors du dit champ, et aspirait à être admis sans discussion.

Voilà certaines des raisons pour lesquelles sa pratique sociale et intellectuelle contribua à modifier considérablement les structures mêmes de l’imaginaire politique et des systèmes de représentation en vigueur à l’époque. Um Nyobè fournit à ses contemporains un nouveau cadre de référence en proposant de « refaire la société » et en réussissant à l’imposer, comme paradigme central dans la réflexion, l’énoncé de l’indépendance. On a du mal à soupçonner de nos jours les bouleversements que put entraîner, dans les structures mentales d’une société capturée, depuis près d’un demi-siècle, dans les rêts de l’idéologie de la « mission civilisatrice », l’idée selon laquelle la sortie de cette captivité culturelle et politique était de l’ordre du pensable et du réalisable. Son apport intellectuel et pratique à la mise à terme de l’ordre colonial dans ce pays est inesquivable. » [Achille Mbembe, 1989].


Um Nyobè est né en 1913 à Song Peck près de Boumnyébel à 180 kilomètres de Douala dans l´arrondissement d´Eséka, de Nyobé Nsounga et de Ngo Um Nônos, des paysans Basa’a.


En 1920, il entre à l´école presbytérienne de Makaï où il est baptisé « Ruben » en 1921. En 1924 il quitte cette école pour l´école d´Ilanga près d´Eséka où il obtient son certificat d´études primaires en 1929 puis il intègre en 1931, l´École normale de Foulassi en région Bulu, tenue également par les presbytériens. Il est renvoyé de cette école, l´année où il doit obtenir son diplôme de fin d´études, accusé d´être toujours prompt à prendre la tête des mouvements de revendication et de protestation. Il obtiendra néanmoins son diplôme de fin d´études, en temps que candidat libre.

Il enseigne pendant quelques années dans les écoles presbytériennes. En 1935, il est admis au concours des commis des services civils et financiers. Il poursuit ses études en travaillant et obtient par correspondance sa première partie du baccalauréat en 1939. La même année il est affecté au greffe du tribunal d´Édéa. Au fil de ses affectations, il prend peu à peu conscience de l´injustice à laquelle sont soumis les camerounais, à travers le système de « l´indigénat ». En effet, la loi distingue les indigènes (camerounais) considérés comme des sujets et les français, considérés comme des citoyens. La « loi » ne laisse aucune possibilité d´expression politique ou de défense des droits des travailleurs aux indigènes.

La participation de nombreux indigènes à la guerre de 1939-45 poussera le général De Gaulle, « héros » de la France libérée de la colonisation allemande, d´alléger quelque peu la rigueur des lois sur l´indigénat. En 1944, sous la pression des évènements, les autorités françaises reconnaissent aux travailleurs camerounais le droit de s’affilier à des syndicats.

Dans la foulée de la libération de la France et de la défaite de l’Allemagne, le Cameroun est placé sous la tutelle de l’Organisation des Nations unies (ONU). La Grande-Bretagne reçoit de l’ONU le mandat d’administrer les territoires du Cameroun occidental et la France celui d’administrer ceux du Cameroun oriental avec pour mission de conduire ce pays à l’indépendance.

Nul ne sous doutait alors que la France ne consentirait jamais à conduire ce territoire aux potentialités énormes à une autonomie effective et à l’indépendance comme le prévoyaient les accords de tutelle signés en décembre 1946 aux Nations unies.

Les gouvernements français successifs de Charles de Gaulle de 1944-46 et du même Charles de Gaulle en 1958 à 1959 en passant entre autre par ceux de Paul Ramadier (1947), Edgar Faure (1955-56), Guy Mollet (1956-57), réussirent donc avec toute la violence et la force oppressive propre à la France à intégrer le Cameroun dans l’Union Française. Ruben Um Nyobè qui a une toute autre conception du socialisme fait remarquer qu’« il est honteux de constater qu’un gouvernement dirigé par Guy Mollet, Secrétaire Général du Parti Socialiste français (SFIO - Section française de l’Internationale ouvrière) ne préconise comme toute solution au grave problème camerounais que la menace de l’emploi de la force et les manœuvres de division, procédés propres aux colonialistes les plus attardés. »

En 1954, à l’occasion du débat à l’Assemblée nationale sur la politique du gouvernement français en Afrique du Nord, le général Aumeran déclare : « La France perdra son rang de grande puissance, le jour où elle aura perdu toutes ses colonies». Ruben Um Nyobè de rétorquer : « la France ne méritera jamais son rang de grande puissance aussi longtemps que la France continuera à opprimer les colonies. »
Déjà à cette époque, comme aujourd’hui par ailleurs, la seule constante dans la politique française demeure les « rapports » que les gouvernements successifs de droite comme de gauche entretiennent avec l’Afrique. De 1944 à 1960 soit 24 ans, il y eu au total 26 gouvernements en France toutes tendances confondues, droite conservatrice, socialiste et communiste, mais jamais au cours de ces 24 ans la coloniale ne lâcha prise en Afrique. Après la débâcle en Indochine (actuel Vietnam), l’enlisement en Algérie, les colons et les gouvernements français ne pouvaient souffrir de voir le Cameroun leur « échapper ». Cameroun où au même titre qu’en Algérie, l’armée fasciste française battra ses propres records de répression, de destruction et de massacres.

Après une série d’échecs, le gouvernement français par l’entremise de son ministre des colonies Gaston Defferre propose en 1956 de dissoudre l’Assemblée territoriale du Cameroun (ATCAM) et d’organiser de nouvelles élections sous l’égide de la loi cadre Defferre. Ruben Um Nyobè dira à ce sujet : « Je pourrais seulement lui [Charles Assalé] dire et par cela à MM. Gaston Defferre et Pierre Messmer que la tentative d’intégrer le Cameroun par la force dans l’Union Française ne date pas d’aujourd’hui. L’expérience Roland Pré a échoué, celle de Gaston Defferre échouera plus lamentablement car, non seulement le peuple camerounais n’ira pas aux urnes le 23 décembre, mais également nous nous opposerons de toutes nos forces à toute tentative de la France à mettre des marionnettes en place pour faire du Cameroun un second Togo. »

La loi-cadre Defferre de sources officielles habiliterait le gouvernement français à statuer par décret dans un domaine réservé en principe à la loi. Elle crée dans les territoires dits d´outre-mer des assemblées élues au suffrage universel, ce qui permettrait au pouvoir exécutif local d´être plus « autonome » vis-à-vis de la France. Elle instaure aussi le collège unique alors que jusque là les habitants étaient répartis en deux collèges selon leur statut.

Pour le leader nationaliste, la loi-cadre Defferre n’est autre « qu’un acte de désarroi, qui mérite une analyse sommaire pour avertir l’opinion camerounaise de l’escroquerie politique et de l’hypocrisie dont on voudrait user pour intégrer notre peuple dans l’empire colonial français ».

Malgré la supercherie de la loi cadre, la dissolution de l’Assemblée territoriale et l’élection prochaine d’une nouvelle assemblée et les modalités qui s’en suivent sont néanmoins « une victoire de la lutte de notre peuple » aux yeux de Um Nyobè. Victoire qui selon lui se dégage en deux points : l’instauration du suffrage universel et le collège unique. Jusqu’alors, les consultations populaires se sont toujours déroulées sur la base d’un suffrage restreint, le droit de vote n’ayant été jusqu’ici reconnu qu’à certaines catégories d’individus. Or l’Union des Populations du Cameroun (UPC) a toujours revendiqué l’institution du suffrage universel au Cameroun : « L’institution du suffrage universel vient donc couronner nos efforts et c’est dans une grande fierté que notre peuple doit saluer cette conquête populaire ». L’autre point est l’abrogation du système du double collège dans lequel il y a une liste électorale pour les citoyens français et une autre pour les autochtones. Par ce jeu de racisme, 12´000 citoyens français résidant dans le pays sont représentés à l’ATCAM par 105 conseillers, alors que plus de 3 millions de camerounais n’y sont « représentés » que par 32 conseillers.

De 1952 à 1954, Um Nyobè ira à trois reprises aux Nations Unies défendre la cause du Cameroun. D’après Richard A. Joseph (1986) : «A chaque fois que Um Nyobè se présentait aux Nations unies, la France mettait en avant des délégués camerounais qui tournaient en dérision l´idée d´unification. Il y avait donc de multiples obstacles : l´idée de réunification des Cameroun n´emporta jamais l´adhésion des Nations unies. Tous les adversaires politiques de l´UPC s´y opposaient avec véhémence... ».

En décembre 1952, Charles Okala, futur ministre des travaux publics - transports et mines, ministre de la justice puis des affaires étrangères dans le gouvernement d’ Ahmadou Babatoura Ahidjo de 1958 à 1961 et Alexandre Douala Manga Bell, représentant à l’ARCAM (Assemblée représentative du Cameroun) et député à l´Assemblée nationale française depuis 1946 sont les portes parole de l’administration coloniale qui s’oppose aux revendications portés par Ruben Um Nyobè et contestent la représentativité du Mouvement nationaliste devant les Nations unies. Quelques temps avant, le 24 octobre de la même année, Soppo Priso, président de la JEUCAFRA (Jeunesse camerounaise française) et futur président de l’ATCAM héritière de l’ARCAM signe la motion du Dr Louis-Paul Aujoulat s’opposant à l’audition de l’UPC par l’Assemblée Générale de l’ONU.

Dans la foulée, un certain Léopold Sédar Senghor, premier africain agrégé (agrégation en grammaire), naturalisé français en 1933, enrôlé comme soldat de 2ème classe et intégré dans les contingents indigènes de l´armée française en 1939, capturé et détenu par les allemands pendant 2 ans au Stalag 230, secrétaire d´État auprès du chef du gouvernement français Edgar Faure de 1955-1956, premier président du Sénégal (1960-1980), premier africain à siéger à l’Académie française (1983), apôtre de la « négritude », témoigne aux tribunes de l’ONU sur « l’absence de discriminations raciales dans le territoire du Cameroun et notamment au sein des instances judiciaires où autochtones et français sont équitablement représentés». Il affirmera par la suite que « les Africains ne veulent pas l’indépendance mais l’interdépendance dans le cadre de l’Eurafrique ».

Pour Frantz Fanon (F. Fanon, 1969) en désaccord avec la « négritude », le statut des personnes dépend de leur position économique et sociale et seul compte le combat pour l´indépendance politique. Pour lui, une révolution violente est le seul moyen d’en finir avec la répression coloniale et le drame culturel dans les territoires colonisés.

Ruben Um Nyobè dénonce alors la complicité des instances dirigeantes des Nations unies : « Le problème a été exposé dans tous ses détails devant les Nations unies. Si jusqu’ici une suite définitive n’a encore été réservée à nos interventions, c’est que la politique colonialiste de la France bénéficiait des appuis de la part de certains membres du Conseil de Tutelle. »

Sept ans plutôt, en 1945, grâce à l´appui de la Confédération Générale des Travailleurs (CGT), syndicat français proche du parti communiste français, Um Nyobè participe à la création de l´Union des Syndicats Confédérés du Cameroun (USCC) dont il devient le secrétaire général adjoint. Il va alors consacrer son énergie à créer une multitude de syndicats qu´il réussit à fédérer en unions syndicales régionales résolument engagées en faveur de la reconnaissance des droits du travailleur camerounais. L´USCC est une initiative du Cercle d’Études Sociales et Syndicales ou Cercle d´Études Marxistes. Mis en place par le français Gaston Donnat et ses amis dont Maurice Méric, le Cercle est une sorte d´école de formation au syndicalisme où on analyse et étudie le système d´exploitation économique et politique du régime colonial. Dès juin 1944, de jeunes fonctionnaires camerounais participent aux premières réunions : Zolo, maître d’école, Ruben Um Nyobè, greffier, Jacques N’gom employé de l’administration, Charles Assalé, infirmier, Ekabissé, postier, Sakouma, employé, André Fouda, Tchoumba Ngouankeu,… Malgré les nombreuses défections la plupart seront très assidus aux conférences données par les syndicalistes de la CGT.

Militant anticolonialiste et premier secrétaire général de l’USCC, Gaston Donnat arrive au Cameroun en 1944 en provenance d’Algérie. Instituteur de formation, le français enseigne alors à l’École supérieure de Yaoundé (actuel Lycée Général Leclerc). Il est aujourd’hui reconnu et salué par tous pour avoir initié les camerounais comme Um Nyobè et Jacques N’gom au syndicalisme et à la lutte politique. Après son départ en 1947, Charles Assalé devient secrétaire général de l’USCC qui après sa défection en 1948 sera remplacé par Jacques N’gom. Charles Assalé deviendra par la suite ministre des finances du Cameroun colonial français dans le gouvernement Ahmadou Babatoura Ahidjo de février 1958 à septembre 1959, puis premier ministre du Cameroun oriental de mai 1960 à juin 1965.


Dans son livre Afin que nul n’oublie – Itinéraire d’un anti-colonialiste (1986), Gaston Donnat rapporte les propos de Ruben Um Nyobè à la première rencontre du Cercle en juin 1944 : « Je tiens à remercier nos amis Blancs qui nous ont reçus chez eux pour nous faire des déclarations aussi importantes. C’est la première fois que je m’assois à la table d’un Blanc : je considère cela comme un grand évènement au Cameroun. Je ne l’oublierai pas. Ce que j’ai entendu, m’a beaucoup intéressé et personnellement, je souhaite que l’on maintienne les réunions. Nous avons besoin d’acquérir des connaissances qui nous font totalement défaut et je crois, moi aussi, que la fin de la guerre sera favorable à des changements dans le Monde. Nous devons nous y préparer.»


Parlant de Gaston Donnat, Michel Ndoh rapporte en 1984 : « Le nom de Donnat est resté jusqu’ici une sorte d’énigme pour beaucoup de patriotes Camerounais dans la mesure où l’utilisation de l’épouvantail «communiste» par les autorités de la période tant coloniale que néocoloniale forçait ceux l’ayant fréquenté à garder à son sujet un prudent silence, tandis que de temps en temps quelqu’un ou un journal de l’autre camp insinuait comme une sorte d’insulte à l’adresse des patriotes que le nationalisme camerounais n’était qu’un masque introduit dans notre pays par un certain Donnat au service du communisme international ».

Gaston Donnat s’est éteint le 10 février 2007 à l’âge de quatre-vingt-treize ans. Ses mémoires Afin que nul n’oublie… permettent aux générations actuelles de ne pas oublier que le racisme, l’exaltation de la colonisation n’étaient pas partagés par tous, même à l’apogée du système [Alain Ruscio, Journal l’Humanité, 18 février 2007].


Dans le Cercle d’Études donc, on développe l´idée selon laquelle le système d´exploitation des travailleurs s´appuie sur le statut colonial du Cameroun et que l´amélioration du sort des travailleurs passe nécessairement par l´émancipation politique du Cameroun. On consent alors que l´indépendance seule peut permettre l´amélioration du sort des travailleurs et des masses laborieuses. L´indépendance du Cameroun devient alors pour Um Nyobè, un objectif stratégique autour duquel viendra se greffer celui la réunification. En 1946, le gouvernement français autorise la création de partis politiques au Cameroun.

Le 6 avril 1947 des fonctionnaires dont fait parti Ruben Un Nyobè crée le RACAM (Rassemblement camerounais), front anticolonialiste qui réclame la fin des mandats tutélaires, en application de la charte des Nations unies, et la réunification du Cameroun. Le parti est interdit au bout de deux mois. Plusieurs membres du Bureau dont Um Nyobè reçoivent des affectations arbitraires dans les postes de brousse.


Les nationalistes reviennent aussitôt à la charge et le 10 Avril 1948 naît à Ndokoti (Douala) dans la modeste cour d’un bar nommé Pension Raphaël l´Union des Populations du Cameroun (U.P.C). L’Assemblée fondatrice est constituée de 12 membres dont Ruben Um Nyobè, Charles Assalé, Guillaume Bagal, Mathias Djoumessi, Bouli Leonard, Yapp Emmanuel, Jacques Biboum, Raphael Nkoudou, Ernest Owona, Etienne Libai,….

Pour faciliter la reconnaissance du parti, Um Nyobè et d’autres leaders syndicaux déjà dans le collimateur de l’administration coloniale n’inscrivent pas leurs noms sur la liste officielle des membres fondateurs. Etienne Libai et Bouli Léonard assurent respectivement la direction et le secrétariat général du mouvement. Après plusieurs hésitations des autorités coloniales, le parti est reconnu le 9 Juin 1948. Aussitôt, Um Nyobè accompagné de Mathias Djoumessi, Medou Gaston, Manga Lobe, Azombo Nsomoto, Takala Célestin se dévoile et apparaît le 17 Juin à Abidjan comme le représentant officiel de l´UPC au congrès du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), mouvement anticolonialiste présidé par l’ivoirien Félix Houphouët-Boigny. L’UPC devient en janvier 1949, une branche territoriale du RDA comme c’est le cas au Mali où le mouvement est animé par Modibo Keïta, au Niger par Djibo Bakary et en Guinée par Sékou Touré.

En Novembre 1948, Ruben Um Nyobè est élu secrétaire général de l’UPC, à Douala, à l’occasion d’un Comité directeur élargi. Lors du premier congrès du parti le 10 avril 1950 à Dschang, Ruben Um Nyobè est confirmé au poste de secrétaire général du parti, Mathias Djoumessi est élu Président et le Dr Félix Roland Moumié Vice-président. Chef traditionnel Foréké (Dschang), Mathias Djoumessi se désolidarise du mouvement peu de temps après, en 1956 il fonde le groupe des Paysans indépendants composé uniquement de dignitaires originaires de l’Ouest du Cameroun et participe aux élections du 23 décembre. En 1957 il est nommé ministre des affaires réservées et des études dans le premier gouvernement camerounais dirigé par André Marie Mbida, puis ministre avec résidence à Dschang dans le gouvernement d’Ahmadou Babatoura Ahidjo en 1959.

En 1951, c’est le divorce entre l’UPC et le RDA. L’UPC maintient sa ligne révolutionnaire et refuse de suivre le RDA quand le mouvement que dirige Félix Houphouët-Boigny inaugure une politique de collaboration avec l’administration coloniale, cédant aux pressions de François Mitterrand, député de la Nièvre, ministre de la France d’outre-mer dans le cabinet René Pleven. Félix Houphouët-Boigny participe par la suite à tous les cabinets ministériels de la France de 1956 à 1959 et devient premier président de la Côte d’Ivoire le 7 août 1960. « Le vieux sage » annonce la couleur en 1956 : « A cette mystique d’indépendance qui n’est pas toujours constructive, nous préférons la mystique de la fraternité ».

Recevant en 1957 son rival le ghanéen Kwame N´Krumah, principale figure du Mouvement panafricain, qui plaide pour une Afrique unie transcendant les États, Félix Houphouët-Boigny, déclare « je vous donne rendez-vous dans dix ans, on verra bien lequel de nous deux a choisi la meilleure voie. » Après l’illusion des années cacao, du Manhattan tropicalisé, de la prétendue vitrine de la France en Afrique, nous osons espérer que « le vieux sage » admettra enfin qu’il ne fera jamais bon de fricoter avec une France non libérée de ses démons colonialistes.

Le Mouvement de libération nationale compte en 1955, sept ans après sa création, 460 comités de village ou de quartier et 80.000 adhérents. Après le mot d’ordre d’abstention lancé par l’UPC aux élections du 23 décembre 1956 à l’ATCAM sous l’égide de la loi-cadre, et surtout à cause de leur incapacité à supplanter l’UPC dans la masse, l’administration colonialiste et le gouvernement français ne cachent plus leur désarroi face à la « force grandissante du nationalisme camerounais » et comprend parfaitement l’impasse dans laquelle il se trouve depuis mai 1955. Um Nyobè de dire : « il [le gouvernement français] a entrepris des opérations de guerre dès le 24 décembre 1956 pour compenser son échec politique par l’épreuve de force. »

Le mois de Mai 1955, un an quasiment avant les élections de 1956, est un tournant décisif dans la lutte pour l’indépendance. En décembre 1954, André Soucadaux, haut-commissaire au Cameroun depuis 1949 est muté à Madagascar et remplacé par Roland Pré qui avait été gouverneur au Gabon, en Guinée-Conakry et en Haute-Volta.

Les émeutes de 1955 avaient été minutieusement préparées par l’administration coloniale. Face à la détermination de l’UPC, le salut du colonat français passait nécessairement par la répression militaire et policière du nationalisme camerounais, l’instauration de l’état d’urgence et la mise hors-la-« loi » de l’Union des populations du Cameroun et de ses dirigeants.

Pendant que le parti pose le problème politique, Roland Pré lui oppose des solutions administratives. Roland Pré va multiplier des communes rurales présidées par un administrateur local ainsi que des conseils de villages. Selon Richard A. Joseph, « le but principal des réformes de Roland Pré était donc d’associer le plus largement possible les masses rurales à la gestion des affaires afin de briser la poussée upéciste au sein des masses paysannes ».

De avril à mai 1955, toutes les réunions de l’UPC sont interdites. Comme le prévoyait sans doute la France, les militants indépendantistes décident de ne plus reculer devant la troupe coloniale. Pour les militants, la troupe n’oserait pas tirer sur la foule parce que le Cameroun est un territoire sous-tutelle des Nations unies : c’est l’affrontement et les massacres.

Pour Frank Garbely réalisateur du film L’assassinat de Moumié « Le meeting du 25 mai 1955 se termine dans un bain de sang. Dans le seul quartier de New Bell, on dénombrera plus de mille morts. Commence une véritable chasse à l’homme, d’abord à Douala, puis dans tout le Cameroun. Partout, Roland Pré fait emprisonner les upécistes. »

D’après Mongo Beti, l’armée coloniale massacra les Africains avec une sorte d’enthousiasme sadique, au point qu’aujourd’hui encore personne ne peut fournir, avec quelque chance de plausibilité, une évaluation même approximative des morts.


Le 25 mai, l’UPC rassemble à Douala toutes les forces démocratiques et syndicales de son parti. Militants du parti, adhérents du syndicat ouvrier, partisans et sympathisants du Mouvement, près de 10´000 manifestants se rassemblent. Alors que quelques milliers attaquent la prison de New-Bell, d’autres déferlent en direction du centre ville, incendient des voitures et puis se heurtent aux principaux carrefours de la ville à l’armée coloniale: mains nues contre automatiques de l’armée française. Dans la nuit du 26 au 27 mai, la mise à sac et l’incendie du siège de l’UPC fera également de nombreuses victimes.


Le 13 juillet 1955 l’UPC et les autres mouvements progressistes JDC (Jeunesse Démocratique Chrétienne) et UDEFEC (Union Démocratique des Femmes Camerounaises) sont interdits par un décret émis par le gouvernement d’Edgar Faure. Um Nyobè s’atèle à démontrer que « que le gouvernement français veut organiser des élections dans un vide politique, dans le seul dessein de mettre en place une assemblée croupion, béni oui oui, pour accepter servilement l’intégration du Cameroun dans l’empire colonial français .»

Les quotidiens français qui dans la grande majorité soutiennent avec acharnement le colonialisme décrivent dans plusieurs numéros la situation au Cameroun. Dans le journal Le Monde du 26 juin 1954, Pierre-Albin Martel écrit : « C’est un fait en tout cas que l’UPC inquiète les autorités et nul observateur ne m’a assuré qu’il faille la considérer à la légère. Son influence est grande à Douala et sur l’autre rive du Wouri elle affleure la région de Yaoundé et s’étend largement plus au Sud. On estime que les fonctionnaires africains, même s’ils gardent de l’affirmer ouvertement, sont dans leur ensemble acquis à l’Union des Populations du Cameroun. »
Max Olivier-Lecamp écrit dans le Figaro du 30 février 1956 : « L’effondrement de l’UPC après les énergiques mesures du 25 mai, doit être considéré très sérieusement. J’ai, en effet, parlé avec un grand nombre de Camerounais de Douala, de Yaoundé et même de la brousse. Tous, à un degré plus ou moins avoué, sont nationalistes. J’ai détecté sans peine quelques crypto-communistes un peu voyants, mais la grande majorité des hommes que j’ai rencontrés n’avaient rien de communiste. La bourgeoisie, généralement chrétienne, plus protestante d’ailleurs que catholique, relativement à l’aise économiquement, et assez évoluée intellectuellement, est résolument nationaliste. »

Des mandats d’arrêts sont émis à l’encontre des leaders du mouvement nationaliste. Ruben Um Nyobè se replie dans sa région natale autour de Boumnyébel. Les autres leaders, le Dr Félix Roland Moumié, Ernest Ouandié, Abel Kingue sont contraints à l’exil. Acculés, traqués, emprisonnés et assassinés, les militants et sympathisants upécistes décident - bien que peu préparés voir pas du tout - de répondre par la seule arme qui leur reste, la lutte révolutionnaire.

Après les élections de 1956 l’appellation ATCAM est changée en ALCAM (Assemblée législative du Cameroun). Les groupes ou partis ayant participés aux élections et représentés à l’ALCAM vont constituer le premier gouvernement camerounais. Il s’agit de : l’Union camerounaise (UC), regroupant 30 élus du Centre et du Nord , conduit par Ahmadou Babatoura Ahidjo, le Parti des démocrates camerounais (PDC) avec 21 membres conduit par André Marie Mbida, « le groupe des huit » du Mouvement d’action nationale du Cameroun avec 7 élus, animé par le tandem Soppo – Assalé, le « groupe des paysans indépendants » comprenant neuf élus sous la direction de Djoumessi Mathias.


André Marie Mbida du PDC devient le premier premier ministre du Cameroun colonial français le 16 mai 1957 et Ahmadou Babatoura Ahidjo vice-premier ministre chargé de l’intérieur. Tombé en disgrâce auprès des parrains français, André Marie Mbida est déposé en 1958 par le nouveau haut commissaire Jean Ramadier arrivé en remplacement de Pierre Messmer avec pour mission d’introniser Ahmadou Babatoura Ahidjo que l’on préparait depuis longtemps pour la tâche. Pour Jean Ramadier une seule issue possible, il faut appliquer le programme de l’UPC sans l’UPC.


En juillet 1957, Pierre Messmer avait été nommé haut commissaire du Cameroun par Gaston Defferre en remplacement de Roland Pré. Dans ce que Pierre Messmer qualifie de « négociation de la dernière chance », il charge Mgr Thomas Mongo, nouveau vicaire apostolique de Douala de persuader le leader de l’UPC que « la France n’est pas hostile à l’indépendance du Cameroun, et qu’il est temps pour lui, et pour le parti qu’il est seul représenter à l’intérieur du Cameroun, de sortir de la clandestinité pour accepter le verdict des urnes dans les élections à venir. »

Le 1er octobre 1957, Ruben Um Nyobè secrétaire général de l’UPC, Théodore Mayi Matip, président de la JDC, une militante de l’UDEFEC, Pierre Yem Mback, chef du secrétariat de l’UPC et son adjoint rencontrent Mgr Thomas Mongo qui tente de faire jouer la fibre ethnique en parlant de sa : « tristesse de voir la Sanaga Maritime et les Basa’a, notre région, notre ethnie, se sacrifier seule, s’isoler et être abandonnée par le reste du Cameroun. »
La rencontre est un échec. Pierre Messmer souhaitait-il réellement une résolution politique du conflit ou simplement localiser le leader nationaliste. Um Nyobè réaffirme à Mgr Mongo que le conflit fraternel en Sanaga Maritime ne peur être dissocié du problème camerounais qui demeure entier : « la terreur menée dans notre région a pour seul objectif de diaboliser l’action des dirigeants upécistes, parce qu’ils sont Basa’a, alors que le nationalisme est unanime dans le cœur des camerounais et surtout chez les jeunes, et que la lutte pour une vraie indépendance n’est toujours pas gagnée, quoiqu’en disent les autorités qui continuent de dénier ce combat, et s’acharnent sur l’ethnie Basa’a de la Sanaga Maritime seulement pour l’exemple. »


Le 3 février 1958, Jean Ramadier nouveau haut commissaire remplace Pierre Messmer. Procédant comme elle l’a toujours fait, l’armée fasciste française amène de l’Afrique occidentale ou du Tchad ses meilleurs éléments africains. La « campagne intensive » que mènent les troupes françaises contraint Ruben Um Nyobè à se déplacer de refuge en refuge, de maquis en maquis, sans armes et sans véritable protection. Dans une atmosphère de délation et de ralliement à l’administration colonialiste le Secrétaire général préfère se déplacer avec une équipe réduite pour plus de discrétion. La mort en Sanaga-Maritime de celui que les paysans appellent maintenant Mpodol, le porte-parole, est officiellement annoncée le 13 septembre 1958. Son secrétaire, Pierre Yem Mback a également perdu la vie. Et pour qu’aucun doute ne puisse subsister, le corps du Mpodol est longtemps exposé à Boumnyébel. Les circonstances de la disparition de Ruben Um Nyobè demeurent mystérieuses aujourd’hui encore malgré les efforts renouvelés de la France et de leurs serviteurs locaux tendant à forger une version crédible de leur forfait. Trahison? Certainement. Surpris dans son campement, a t-il été capturé puis exécuté quelques heures ou quelques jours plutard ? A t-il tenté de s’enfuir mais fût rattrapé par les balles d’un automatique de l’armée française ?

Le 19 octobre 1958, 1 mois après l’assassinat de Ruben Um Nyobè, Xavier Torre, le nouveau haut commissaire de la République française, annonce que la France du général de Gaulle est prête à accorder l’indépendance au Cameroun «…maintenant que l’hypothèque Um Nyobè est levée !»

En octobre 1959, l’ALCAM vote les pleins pouvoirs à Ahmadou Babatoura Ahidjo en vue de « négocier » avec la France les termes de « l’indépendance » dont la proclamation est fixée au 1er janvier 1960. Mais on n’a pas fini d’entendre parler de Ruben Um Nyobè ni, encore moins, de l’UPC.

Le traité de « coopération » et les accords secrets de défense signés entre le premier ministre de la France Michel Debré et le premier ministre Ahmadou Babatoura Ahidjo le 26 décembre 1959 et la répression inexpiable des progressistes camerounaises allait finir de « pacifier » le Cameroun, dit-on.

La disparition brutale de Um Nyobè n’est que le prélude aux assassinats des autres figures historiques de la lutte pour l’indépendance. Osende Afana assassiné et décapité le 15 mars 1966 à Ndélélé (Sud-Est du Cameroun) par une troupe de l’armée française, Félix Roland Moumié, mort empoisonné au thallium le 03 octobre 1960 à Genève par William Bechtel, un agent du SDECE, service secret français, Ernest Ouandié fusillé le 15 janvier 1971 à Bafoussam.


En 1959, à la suite de l’annonce prochaine de « l’indépendance », Félix Roland Moumié et Ernest Ouandié écrivent depuis Conakry : «…l’indépendance actuelle ne répond nullement aux objectifs poursuivis par l’UPC dès sa naissance. A partir du 1er janvier prochain, le Cameroun jouira d’une indépendance nominale. Loin d’être un instrument indispensable au plein épanouissement du peuple, elle sera au contraire le carcan au moyen duquel les agents du colonialisme et de l’impérialisme continueront à le tenir prisonnier dans son propre pays. Ce peuple continuera à aller nu et à mourir de faim dans un pays qui regorge de ressources économiques considérables. […] Si l’expérience fasciste contre laquelle lutte le peuple camerounais réussit, ceux qui y ont intérêt ne s’empêcheront pas d’en étendre le champ d’application… »


Lors d’un exposé au deuxième congrès de l’UPC à Kumba du 14 au 17 décembre 1951 Um Nyobè dira : « l’UPC comprend la nécessité de l’interdépendance des peuples du monde […] Ils [dirigeants et militants upécistes] ne confondent pas le peuple anglais avec l’impérialisme anglais qui maintient les peuples sous sa domination, ni le peuple de France avec les colonialistes français qui pillent et oppriment les peuples de nos pays. Nous devons mettre nos frères en garde contre le danger que consiste la politique du racisme anti-raciste. On ne peut, sous prétexte de lutter pour la libération des Noirs, mener une politique de haine contre les Blancs. La haine raciale est incompatible avec toute idée de progrès. »


Il est donc clair que sans l’UPC, notre peuple serait resté dans la complète ignorance de son statut et par cela même de son avenir. Sans l’UPC, le problème camerounais n’aurait jamais été soulevé devant les Nations unies. Sans l’UPC, le peuple camerounais n’aurait jamais acquis la maturité politique qui lui permet de lutter efficacement aujourd’hui pour l’Unité et l’Indépendance immédiates de son pays (Ruben Um Nyobè, 28 décembre 1955).


Pour Gaston Donnat, « Si l’UPC n’avait pas été persécutée, traquée militairement par l’armée française, peut-être la destinée du Cameroun se serait pas celle qu’il connaît aujourd’hui […] Je suis persuadé qu’un jour viendra où le Cameroun reprendra le bon chemin qui avait été tracé par Um Nyobè Ruben et ses compagnons…»

Pour Mongo Beti, «…la raison de tant d’années d’un combat infernal, en somme pourquoi l’UPC est immortelle. L’enjeu n’en est pas tant une politique, ni un symbole, mais une culture naissante, une mystique peut-être, l’âme même de la nation camerounaise. Les idéaux de la mort de Ruben Um Nyobè se sont allumés comme de premières balises. L’UPC s’est pour ainsi dire incrustée dans le tissu même de la mentalité nationale, à laquelle elle a conféré un grain sans doute définitif, en tout cas durable […] Le premier adolescent venu, s’il est fier et vaillant […] on le hissera sur le pavois de l’UPC.

Tout Camerounais, s’il a de la sensibilité, saisit cette vérité intuitivement.


Principales sources :


- Ruben Um Nyobè, Écrits sous maquis, Notes et Introduction de Achille Mbembe, L’Harmattan, 1989.

- Mongo Beti, Main basse sur le Cameroun, Éditions des peuples noirs, 1984.

- Stéphane Prévitali, Je me souviens de Ruben, Éditions Khartala, 1999.

- Gaston Donnat, Afin que nul n’oublie, Itinéraire d’un anticolonialiste, L’Harmattan, 1986.

- Daniel Abwa, André-Marie Mbida, Premier Ministre Camerounais, L’Harmattan, 1993.

- Achille Mbembe, Naissance du maquis dans le Sud-Cameroun, Éditions Khartala, 1966.

- François-Xavier Verschave, La Françafrique, Stock, 1998.

- Richard A. Joseph, Le mouvement nationaliste au Cameroun, Les origines sociales de l’UPC, Karthala, 1986