dimanche 9 septembre 2007

Um Nyobè Ruben, Précurseur des Indépendances Africaines avait prévenu

Leader nationaliste précurseur des indépendances en Afrique francophone, Ruben Um Nyobè avait dès la fin des années 1940, formulé au sein du parti dont il était le fondateur, la mythique «Union des Populations du Cameroun», UPC, une plateforme de revendications fortes parmi lesquelles figuraient l’impératif de l’union nationale, l’indépendance et la déconnexion d’avec le colonialisme français. En sus de la formidable vision émancipatrice qu’il développa avec méthode et passion, il mit explicitement en garde les politiques de son temps contre les dangers du tribalisme… Avertissement qui resta lettre morte, y compris dans les rangs de ses continuateurs.

L’homme que les troupes françaises assassinent le 13 septembre 1958 succombe à la barbarie coloniale et à l’impossibilité pour celle-ci d’entreprendre, de supporter une vision du monde et un rapport à la colonie marqué du sceau de l’égalité. Um Nyobè qui avait fondé l’UPC en 1948, avait commencé à écrire l’histoire de l’émancipation des peuples africains, en exigeant en 1949 lors de la visite d’une mission de l’ONU au Cameroun, la fin du régime de tutelle française et la fixation d’un délai pour des indépendances démocratiques.



Cette précocité est digne du plus grand intérêt car il apparaît aujourd’hui que le secrétaire général de l’UPC devançait de plusieurs années les leaders indépendantistes d’Afrique francophone qui ne reprendraient des revendications proprement indépendantistes qu’à la fin des années cinquante. Pas tous d’ailleurs, un certain Senghor irait jusqu’à affirmer que les Africains ne voulaient pas l’indépendance mais l’interdépendance dans le cadre de l’Eurafrique [Europe-Afrique ???] … Le même Sédar Senghor porta témoignage à l’ONU de l’absence de discriminations raciales dans le territoire du Cameroun et notamment au sein des instances judiciaires où autochtones et français étaient, soutint-il, équitablement représentés, trompant à dessein ses auditeurs des Nations Unies.

Entre 1952 et 1954, le leader indépendantiste fit trois interventions à l’ONU pour y expliquer la situation du Kamerun et les revendications nationalistes, tout en continuant une inlassable œuvre d’éducation politique des masses, de correspondances internes et externes au parti qu’il dirigeait, privilégiant la conquête pacifique du pouvoir par des élections démocratiques, les vertus du dialogue et du combat politique.


Mongo Beti, Remember Ruben, Éditions Le Serpent à plumes


En 1955 le gouverneur colonial Roland Pré inaugure un cycle de mise au pas des insoumis d’une brutalité sans limite. Il accentue la politique répressive et sanglante de la France générant des manifestations suivies des pires violences de l’autorité coloniale. Les dirigeants de l’UPC entrent en clandestinité, Félix Moumié, Ernest Ouandié et Abel Kingué regagnent le Cameroun sous tutelle britannique d’où ils seront déportés à Khartoum au Soudan, Um Nyobè se replie quand à lui dans son village à Bumnyébel. C’est la période dite du Maquis, de nombreux paysans entrent en clandestinité, le travail politique d’explication, de formation et de pédagogie de Um Nyobè continue cependant.

Le 13 juillet 1957, Um Nyobè écrit une lettre mémorable au premier ministre André-Marie M’bida, depuis son Maquis, cette lettre anticipe avec une vision prophétique sur les dangers de la manipulation politicienne de l’ethnicité par les forces en confrontation politique :

« Le tribalisme est l’un des champs les plus fertiles des oppositions africaines. Nous ne sommes pas des « détribaliseurs », comme d’aucuns le prétendent. Nous reconnaissons la valeur historique des ethnies de notre peuple. C’est la source même d’où jaillira la modernisation de la culture nationale. Mais nous n’avons pas le droit de nous servir de l’existence des ethnies comme moyens de luttes politiques ou de conflits de personnes.

Nous sommes des hommes politiques camerounais. A des degrés divers nous assumons des responsabilités devant l’histoire de notre peuple. Dans le grand bouillonnement que cela provoque, nous décelons nos insuffisances et nos capacités. Nous puisons alors à la source des peuples qui nous ont précédés, et dans le passé de notre propre peuple, pour fixer notre propre ligne de conduite et ce, avec le concours et la succession des événements. Une telle situation nous impose comme condition première de rompre avec un tribalisme périmé et un régionalisme rétrograde qui, à l’heure actuelle comme dans l’avenir, représentent un réel danger pour la promotion et l’épanouissement de cette nation camerounaise. »

Um Nyobè, appelé affectueusement «Mpodol», prophète ou porte-parole, en langue bassa, génie de la vision politique qui avait entrevu l’horizon des indépendances avec une décennie d’avance sur ses contemporains, surdoué de la méthode et de l’organisation, reconnu pour son honnêteté même par ses ennemis, lègue dans cet écrit « sous Maquis » un testament précieux. S’attaquant à l’épineuse question du tribalisme et du régionalisme politique au Cameroun, le Mpodol livre une réflexion politique majeure, valable sur l’étendue du contexte africain, encore aussi actuelle un demi siècle après son énonciation que dans les années 50.

Le secrétaire général de l’UPC identifie dans le tribalisme un terrain fertile, un fonds de commerce des oppositions, largement vérifié dans l’éclosion des mouvements de démocratisation des années 90, et un danger pour la construction des nations africaines. La résurgence des tensions interethniques à fondements politiques ou économiques s’alimente du tribalisme, des clientèles ethno-régionales dans tous les grands conflits et génocides africains contemporains. Quand le phénomène ethnique n’est pas à la base des conflits de partage de ressources économiques et de pouvoir, il fournit du moins un outil d’instrumentalisation relativement aisée, offrant de mobiliser et manipuler des factions à des fins de crapuleries politiques. Il serait difficile de contester l’acuité du Mpodol sur ce point névralgique du pouvoir africain.

La lettre à André-Marie M’bida, adversaire politique, opposé à l’indépendance et premier ministre, à un an de son assassinat, traqué et terré dans son Maquis des environs de Bumnyébel, traduit la hauteur politique d’un leader à dimension réellement nationale, déterminé à la confrontation politique dans toute sa grandeur et son exemplarité. Elle témoigne d’une réflexion aiguë et bien avancée sur les rapports entre culture nationale transethnique et enracinement local. La culture nationale à construire ne saurait ici vassaliser ou faire table raz des réalités tribales, elle devrait en être une sublimation, y prenant appui comme sur une racine. Une grande sagesse d’action semble guider Um Nyobè qui s’en remet aux expériences passées non pour les reproduire de façon stérile, mais pour en faire des points de repères permettant de fixer une conduite en fonction des réalités vécues, de la succession des événements. L’action qui invente l’avenir se réfléchit donc à partir d’une utilisation du présent et du passé, d’une transaction entre des idées et les forces du terrain, produisant un modus opérandi fonctionnel et dynamique.

La pensée puissante de Um Nyobè, injustement oubliée de la grande histoire des luttes de libération est et demeure d’une rare fécondité, tant le leader de l’UPC aura laissé d’écrits, de traces nationales et internationales, gravant dans l’histoire, la passion d’un homme pour sa patrie et sa capacité visionnaire à anticiper les étapes ultérieures de la réalité politique africaine. Qu’il s’agisse de l’indépendance, du tribalisme, ou de la viabilité des structures politiques, de la pédagogie et de l’éducation des militants et des citoyens, la contribution du Mpodol, mort pour sa patrie, reste entière à redécouvrir.

Akam Akamayong 14/09/2004

jeudi 6 septembre 2007

MASSACRES AU CAMEROUN, NOUVELLE « VERSION »



La revue « L’Histoire » , dans son numéro 318 de mars 2007, se propose de tirer de l’oubli quelques massacres oubliés de la Colonisation. Parmi tant d’autres, elle « braque » ses projecteurs sur les massacres de Sétif en 1945, de Madagascar en 1947 et du Cameroun, en 1955.

« Belle initiative », me suis-je dit, quand j’ai vu ce numéro chez mon marchand de journaux. Ce n’est pas tous les jours que ces thèmes trouvent place dans la grande presse, même spécialisée. Je me suis dépêché de l’acheter, désireux d’en savoir un peu plus sur ces pages occultées de l’histoire.

Mon enthousiasme n’a été que de courte durée, car ce que j’ai eu sous les yeux m’a pratiquement laissé sur le tapis. Ne pouvant pas consacrer ce post à tout le « dossier », je me suis limité à considérer les Massacres du Cameroun de 1955, sujet qui, des trois éléments du « dossier », m’était le moins inconnu.

Afin de mieux faire ressortir les errements de la plume du « spécialiste de l’histoire coloniale » qu’est Marc Michel – l’auteur du « dossier » sur les massacres du Cameroun – j’ai choisi de mélanger et de « croiser » deux versions des faits : celle du « dossier » de L’Histoire, et celle d’autres sources.

Après une présentation sommaire du contexte politique de l’époque, notre « spécialiste » nous apprend que l’UPC, le parti nationaliste camerounais, passe à la « dissidence, en déclenchant des émeutes dans les principales villes du Cameroun », principalement à Yaoundé et à Douala. S’ensuivent des « heurts » qui « opposent violemment les forces de l’ordre, police et gendarmerie, aux milices du parti ». Les troubles gagnent la brousse et, cette fois, on dénombre plusieurs dizaines de victimes. Le 13 juillet 1955, « le gouverneur Roland Pré fait donc interdire l’UPC et ses organisations ».

L’auteur nous explique ensuite que « face à cette force nationaliste montante, une ´alliance objective´ [1] se noue alors entre l’administration française, l’Eglise catholique (qui dénonce les violences et l’idéologie communiste du parti), les éléments modérés de la société camerounaise et les grands chefs coutumiers ». Et puis, « l’évolution de la position de France » prive l’UPC de ses deux mots d’ordre les plus populaires : l’indépendance et la réunification des deux Cameroun. Entre-temps, Um Nyobé est tué dans le maquis en 1958. Le conflit dégénère : « à partir de 1959, la lutte anticoloniale se double d’une ´guerre civile´ [2] qui ensanglantera le pays tout au long des années 1960 ». Ahidjo prend le relais de la France, « dans la lutte contre l’UPC » qui tombera vite « dans le terrorisme » avant d’être finalement « vaincue ».
Voilà donc, grosso modo, sous la plume d’un « spécialiste de l’histoire coloniale », le récit de la « Guerre oubliée du Cameroun ».


Mais que disent d’autres sources, à propos de ces événements ? Pas très difficile de le savoir, puisqu’une « couverture médiatique » leur a été accordée en son temps puisque des « travaux d’historiens » leur ont été consacrés.
D’abord, quelques faits. Le parti de Um Nyobé ne s’appelle pas l’Union des populations camerounaises, comme le dit à répétition le « dossier », mais bien Union des Populations du Cameroun.

Ensuite, l’accusation qui est faite à l’UPC d’avoir déclenché les émeutes. Voici le témoignage d’un autre historien : « Le mémorandum du gouvernement français attribuera plus tard, à tort, l’ensemble des responsabilités à l’UPC » [3]. Rappelons que 85 mandats d’arrêts sont délivrés, dont un pour…Um Nyobé, qui réside, depuis plusieurs semaines déjà, dans sa région natale, loin du théâtre des opérations. Plus curieux encore : quand les émeutes sont déclenchées, Um Nyobé est en train de…« mener une campagne en faveur de l’organisation d’un référendum dans le pays » [4].

Encore des faits : tout le monde sait que l’UPC n’était pas un parti communiste, ni marxiste, ni même marxisant. Il est clair que l’accusation de « communisme » permet à tout le monde – l’Eglise et l’administration coloniale, notamment – de justifier la répression féroce. L’UPC n’a jamais eu d’idéologie politique au sens propre. Cela n’empêche pas que ses membres, tout comme ses dirigeants, aient eu des « affinités », des « sympathies » tantôt socialistes, tantôt marxistes, tantôt communistes, tantôt religieuses, etc. En fait, pour le parti de Um Nyobé, la seule chose qui compte, c’est l’Indépendance, qui « passe avant le pain journalier », comme il le disait lui-même. Pour cela, peut importe la chapelle à laquelle on appartient, du moment que le but est de l’atteindre, immédiatement et sans conditions.

L’auteur du « dossier » nous dit aussi quelque chose de curieux : « certains parlent du massacre de 300000 à 400000 personnes… Une estimation d’autant plus fantaisiste qu’elle excède le chiffre total des habitants du pays bamiléké, principal théâtre du conflit ». Lors d’un discours dans le fief de Um Nyobé en 1956, le premier ministre de l’époque, André-Marie Mbida, parle des « 460000 habitants de la région Bamiléké » [5]. Quand on sait que «dès les premiers mois de 1965, cinq bataillons ratissent la forêt du Sanaga et répriment brutalement les rebelles » (Roger Faligot et Pascal Krop [6]) quand on sait que « 156 petits villages du pays Bassa, en 1960-1961, avaient été rasés » parce que soupçonnés d’abriter des upécistes (Van de Lanoitte [7]) quand on sait que « entre Douala et Bafoussam, près de 400000 Bamiléké sont en dissidence » (Georges Chaffard [8]), etc. , on comprend mieux les propos d’un témoin célèbre : Max Bardet. Pilote d’hélicoptère, il était présent au Cameroun entre 1962 et 1964. Il témoigne : « En deux ans, l’armée régulière a pris le pays bamiléké du sud jusqu’au nord et l’a complètement ravagé. Ils ont massacré de 300000 à 400000 personnes. ´Un vrai génocide. Ils ont pratiquement anéanti la race´ » [9].

Le témoignage de Bardet est impressionnant. Il ajoute : « A la fin de la guerre, j’ai fait une prospection d’un mois avec un administrateur général (…). Il était indigné. Ce n’est pas possible, tous ces villages morts, où sont les habitants ? ´Les villages avaient été rasés, un peu comme avec Attila´ » [10].

Le bilan de la guerre est-il « évidemment très exagéré », comme l’affirme l’auteur du « dossier » ? L’estimation de 300000 à 400000 est-elle « d’autant plus fantaisiste qu’elle excède le chiffre total des habitants du pays Bamiléké, principal théâtre du conflit » ? A chacun de voir.


L’auteur du « dossier », quant à lui, estime que « plus vraisemblablement, la guerre a fait plusieurs dizaines de milliers de morts, principalement des victimes de la ´guerre civile´, après l’indépendance » [11].

Tiens ! On avait oublié qu’il y avait aussi une guerre civile là-bas ! Et comme tout le monde sait, les guerres civiles, là-bas, font toujours des milliers de victimes. Morale : pas tant de victimes que ça ! Et puis, c’est le fait de la guerre civile, pas de l’action coloniale, voyons !

Un véritable chef-d’oeuvre, ce « dossier » sur les Massacres du Cameroun. Pas facile, en effet, de parler de guerre, sans mentionner un seul instant les lance-flammes, les bombardements au napalm, les ratissages, les avions, les villages rasés, etc. Il y en a qui réussissent à préparer des pizzas sans farine...

Inutile, à ce stade, de revenir sur des expressions telles que « Ruben Um Nyobé retire l’UPC du jeu normal des élections », « Alors que la France est empêtrée dans la guerre d’Algérie, avec le Cameroun, elle triomphe sur la scène internationale ».
Par contre, il est important de voir les leçons que notre « spécialiste » tire des événements sanglants de cette période.

L’auteur du « dossier » pense que cette guerre « a contribué à fonder un Etat ´solide´ et à ´souder´ la population malgré son hétérogénéité aussi bien ethnique que politique » [12]. Une guerre civile qui fonde un Etat solide et qui soude une population : de nouvelles pistes à explorer pour sociologues, anthropologues et autres. Ultime prouesse du « dossier » : mêler Mongo Beti à cette sauce fétide, lui qui, toute son œuvre durant, n’a eu de cesse de dénoncer les colons français, ceux d’hier et d’aujourd’hui. Il se retournerait dans sa tombe, l’auteur de Main basse sur le Cameroun.

Conclusion épique du « dossier » : « En définitive, cette guerre a été oubliée parce qu’elle avait été gagnée à peu de frais – les principaux combats ayant été livrés par le ´régime indépendant´ héritier » [13].

Il a raison, Marc Michel. Quelques fusils, peu de munitions, quelques blindés, c’est effectivement « peu de frais », quand on voit les résultats obtenus : un territoire pacifié, une rébellion anéantie, des populations terrorisées et traumatisées.
Il a raison sur un autre point. Les principaux combats ont été « livrés par le régime indépendant héritier ». Paris et la France n’ont rien à y voir. Le colonel Noiré, « conseiller direct du président Ahidjo » (Pascal Krops), n’a rien à y voir. Le capitaine Leroy, « responsable des troupes de choc de l’armée camerounaise (…) qui dirige en direct la guerre bamilékée » (Pascal Krops), n’a rien à y voir. Le capitaine Agostini, officier de renseignement, chef du commando qui tua Um Nyobé dans la forêt, n’y est pour rien. Le lieutenant-colonel Lamberton, commandant des troupes du Sud-cameroun, et Daniel Doustin, délégué du Haut-commissaire Jean Ramadier, tous patrons d’Agostini, n’y sont pour rien. Michel Débré, premier ministre français, n’y est pour rien. Ainsi de suite ! Voilà comment on écrit l’Histoire en 2007.

Si ce ne sont pas des histoires qu’on nous raconte là…

Marcel-Duclos Efoudebe

P.S. Dans son témoignage, Max Bardet ajoute, à propos des événements sanglants du Cameroun : « la presse n’en a pas parlé ». Malgré la « couverture médiatique » dont parle le « dossier ». Il était probablement distrait, Max…

[1] C´est moi qui souligne.
[2] Idem.
[3] Le témoignage est d´Achille Mbembe dans la présentation du livre Le problème national kamerunais de Um Nyobe, L´Harmattan, Paris, 1984. C´est moi qui souligne.
[4] Achille Mbembe, op. cit., page

[5] Cité par Achille Mbembe, op. cit., page
[6] Lire La piscine de Roger Faligot et Pascal Krops, Éditions du Seuil, Paris, 1985, page 238.
[7] Cité par Mongo Beti dans Main basse sur le Cameroun, Éditions des peuples noirs, Rouen, 1984, page 96.
[8] Cité par Mongo Beti, op. cit., page 84.
[9] C´est moi qui souligne.
[10] C´est moi qui souligne. Qui ne connaît pas le terrible roi des Huns qui « ravagea la Gaulle et pilla l´Italie » (Larousse 2004) ? Le témoignage de Max Bardet est cité par Pascal Krops dans Les secrets de l´espionnage français, Payot & Rivages, Paris, 1995, page 510.
[11] C´est moi qui souligne.
[12] C´est moi qui souligne.
[13] Idem.

mardi 4 septembre 2007

AUDIO : INTERVENTION DE UM NYOBÈ À L'ONU

Partie 1:


Partie 1:






Partie 2:


Partie 3:


Partie 4:


Partie 5:

PHOTOS DE MPODOL







L'indépendance racontée à ma fille



Céline, après que le Haut-commissariat, pendant la décennie de débâcle politique, sociale et morale qui a précédé l’indépendance falsifiée de 1960, eût médité de sinistres desseins contre le Cameroun et son peuple, les colons fourbes et fébriles ont remis le pouvoir apparent à Ahmadou Babatoura Ahidjo, avec le commandement impératif qu’il tînt le peuple dans une crainte durable et n’essayât par aucun moyen de s’échapper de sa cage. Les égards qui lui furent ensuite montrés le propulsèrent comme une fusée dans le cercle très restreint des Présidents de la République à responsabilité limitée. Ce 1er janvier 1960, toute l’Afrique dite francophone, radieuse et passionnée, avait bêlé comme une seule chèvre à l’annonce du jour nouveau, mais ce n’était que vers la fin du mois festif qu’elle s’aperçût que toute cette bamboula orchestrée depuis Paris procédait d’une énorme supercherie. La chèvre pouvait gambader, il est vrai, mais c’était l’enclos que l’on avait agrandi. Elle allait quand même être au sacrifice ! Les ministres de la propagande, véritable Kontchou avant la lettre, débagoulant des sottises par ventrées, voulurent donner le change en inventant une nouvelle « sagesse africaine », celle du Père de la Nation, ignorant qu’un principe de légitimité, aussi simple qu’il puisse paraître, ne procède ni d’une mystification, ni d’une plaisanterie, mais bien de la seule volonté du peuple. Ces hommes se sont vite rendus compte qu’il n’était pas facile de faire périr entièrement un homme. Il aurait fallu, au surplus, assassiner tous ceux qui ont été ses contemporains, tous ceux qui l’on vu et entendu parler, assassiner le Cameroun entier ! Je parle de Ruben Um Nyobe.

Déjà, en 1964, s’adressant aux populations de Ndikiniméki, Ahmadou Babatoura Ahidjo prétendait que l’indépendance réclamée par les chefs nationalistes était une indépendance du « ôte-toi de là que je m’y mette », et plus tard, dans sa foulée, Paul Biya affirmait, à l’exorde d’une élection pipée, que l’Opposition voulait « sa » place. « Non Monsieur Biya, nous ne voulons pas votre place, nous voulons la faire disparaître », voilà la réponse que désormais tu lui feras, Céline. Cette place est celle du colon, elle doit demeurer sienne et avec lui là où il se trouve désormais. Depuis Hannah Arendt, tu sais qu’on ne peut faire place à une action nouvelle qu’à partir du déplacement ou de la destruction de l’état de chose existant. La bourgeoisie décadente et réactionnaire au pouvoir depuis 1958 « doit » disparaître, celle-là qui ne voit dans les problèmes brûlants du Cameroun qu’une question de lutte à mort pour conquérir et défendre des places. Qu’était donc « la place » d’Ahmadou Babatoura Ahidjo avant que le Docteur Aujoulat, personnage obscur aux mœurs extrêmement déréglées, n’entreprenne à sa manière son initiation politique ? Et celle de Paul Biya ? Il faut savoir que cette république, si elle existe, n’est pas l’expression de la volonté du peuple, mais celle du colon toujours perpétuée. Tu dois dénoncer ce système malfaisant et antipopulaire. Tu dois le combattre, toujours. Il faut que tu rompes avec lui et que tu brandisses le couteau sanglant, que tout le monde voie ! Car il n’est pas d’héritier, écrivait un penseur, il n’est pas d’héritier, même prodigue ou nonchalant, qui ne porte un jour les yeux sur les registres de son père pour voir s’il jouit de tous les droits de sa succession et si l’on n’a rien entrepris contre lui ou contre son prédécesseur. Tu ne dois plus faire un pas dans ces ténèbres. La France, par le colonialisme, et sa valetaille, par le néocolonialisme, n’a jamais eu le droit de gouverner à ta destinée, et le fait même de ce gouvernement a toujours été et est encore parfaitement illégitime. Le grand parti du colonialisme et du néo-colonialisme a cru vaincre tes aspirations en assassinant les chefs intrépides et lucides de l’Union des Populations du Cameroun. Il a cru qu’en liquidant ces hommes extraordinaires il pouvait liquider leurs idées, leurs qualités, leur exemple. Et cette bourgeoisie compradore, moutonnière et parasitaire installée à la place du colon n’a jamais été contre la domination colonialiste, mais c’est toujours illustrée contre le peuple. Aujourd’hui, elle veut faire croire que l’ambition politique au Cameroun consiste à pénétrer cette classe minoritaire de privilégiés qui n’ajoute rien à la richesse nationale mais pille et accumule des capitaux malhonnêtes dans des banques hors du pays.

L’homme qu’elle porte au pouvoir ne s’enorgueillit pas de la tâche à accomplir, du service à rendre aux populations, mais des perspectives infinies d’enrichissement personnel que lui ouvre sa nouvelle position. Dernièrement introduit dans l’une des officines obscures où baignent cette bourgeoisie malfaisante et rétrograde, puissants laboratoires où l’on fabrique des « hauts dignitaires » de toutes pièces, cet homme, l’œil percé d’un rayonnement cristallin, élèvera bientôt la grivèlerie à la hauteur d’un art et se verra confier, à la grande stupéfaction du peuple innocent, des portefeuilles toujours plus consistants.

Et l’on ne trouvera d’ailleurs pas cela étrange, puisque l’on considère dans ces milieux nébuleux que les activités feintes n’égalent jamais les réelles. Céline, ma fille, sache que si l’on additionne toutes les plaintes, les récriminations, et les attentes du peuple camerounais, formulées par des hommes et des femmes venant de tous les milieux, le total équivaut à demander l’abolition de la république telle qu’elle existe sous sa forme actuelle. En d’autres termes, le résultat de l’addition est bien une révolution. Le mot est lancé. Donner consistance à l’exigence d’un changement radical est un devoir historique et républicain, et se tenir à l’écart de ce devoir ou être un frein à sa réalisation doit être considéré comme un crime majeur. Pour les avoir longuement observé, les révolutions obéissent à certaines lois dont les premières sont la solidarité avec le peuple, la haine intransigeante de l’ennemi du peuple, et le devoir de défendre ce peuple jusqu’à la mort s’il le faut. La réactivation du projet nationaliste, de l’idéal nationaliste, doit revêtir pour toi, ma fille, un caractère impératif. Soit convaincue que la cause révolutionnaire, les idées révolutionnaires, le sentiment révolutionnaire, les objectifs révolutionnaires, sont les seuls outils capables de rompre définitivement avec les démons que le colonialisme a semés dans notre pays, à savoir l’individualisme, l’égoïsme, l’immoralisme et les privilèges.

La réhabilitation de ce projet passe par une conscience politique renouvelée et une reconversion des mentalités. Tu dois demeurer cohérente, dans la vérité, toujours. Tu ne chanteras plus cet hymne national dont le principal défaut semble le manque de clarté, tu ne salueras plus ce drapeau, symbole de l’imposture et du mépris colonialiste, désormais ta devise sera : « Ici, c’est le peuple qui gouverne ». Maintenant, tu dois savoir que toute l’activité des partis politiques en service au Cameroun est une activité de type électoraliste, une somme de mimodrames intellectualistes qui tente de décrire l’existant. Leur objectif n’est pas le renversement radical du système qui t’oppresse, mais de lui dire bien révérencieusement : « Partageons mieux le pouvoir ! ».

Comme le disait Ernesto Guevara Che : « les véritables capacités d’un révolutionnaire se mesurent à son habilité à trouver des tactiques révolutionnaires adéquates pour chaque changement de situation ». Aujourd’hui, la situation au Cameroun n’est plus celle de 1958, c’est pourquoi il est important de faire la lumière autour des possibilités effectives dont le peuple dispose pour se libérer par des moyens novateurs et irréversibles. Mais lutter uniquement, comme le font les partis politiques actuellement en service, pour obtenir la restauration d’une certaine légalité bourgeoise, sans se poser le problème de la révolution, le problème de la prise de pouvoir révolutionnaire, nous prépare, une fois ce pouvoir acquis, à un retour programmé vers ce vieux monde de privilèges et d’iniquité dont la majorité des Camerounais ne veut plus entendre parler. Il ne faut pas avoir peur de la violence dans l’accouchement du monde auquel tu aspires. Mais cette violence, qui est une réponse à une violence encore plus grande, doit également être un appel à la construction. Observe qu’au Cameroun on a trop souvent dit qu’avec le régime actuel « au moins » on avait la paix, que c’est à lui que l’on devait cette paix ! Mais de quelle paix s’agit-il ? Il faut bien qu’on nous le dise. On a la paix aussi dans un cachot ! Toutes les dictatures imposent la même paix nécessaire à l’accomplissement de leurs bassesses.

Est-ce de cette paix misérable dont on parle ? Avec la menace de la guerre, les parvenus du néo-colonialisme exercent un chantage qui passe pour un souci qu’ils se font du sort du Cameroun et des Camerounais. Cela se serait su si semblable préoccupation faisait partie de leur projet. La réponse juste face à de tels discours hypocrites est de ne pas avoir peur de la guerre. Il faut que l’oppresseur, l’usurpateur, entende les cris du peuple, les gémissements du peuple, la colère du peuple, lui qui aime le silence, le nébuleux, le mensonge, il faut qu’il les entende tous les jours, dans son sommeil comme dans son éveil, et qu’il voit errer autour de lui les ombres pâles des hommes, des femmes, et des enfants, vidées du sang dont il s’abreuve. Puis, une fois la nuit tombée, lorsqu’il se rend dans ces lieux secrets où règne l’esprit de Satan, qu’il sente sur sa chair l’attouchement de la mort et qu’il en tremble ! Céline ! Souviens-toi de celui qui, en mourant, a eu une dernière pensée pour toi. Il était triste, mais il avait vaincu. Parce qu’il t’aimait, parce qu’il te voulait grande, heureuse, libre, et indépendante, parce qu’il avait pour toi de nobles desseins, ceux qui te trahissent l’ont jeté dans le cachot des sans-tombe. Ils ont détruit le corps, mais l’âme est immortelle, la vérité vient la libérer ! Son jour approche, il est tout près. Céline ! Souviens-toi que cette nation est une terre bénie, lavée du sang des martyrs. De limpides horizons t’attendent. Une nouvelle époque est à naître. L’avenir appartient au peuple parce que l’avenir apportera la justice. Et lorsque tes ennemis tentent de rendre la possibilité de leur chute très lointaine, lève les yeux vers le ciel et tu verras, éclatants dans la lumière divine, les martyrs qui sourient. Leur sang t’a libéré, tu es déjà victorieuse !

Rédigé par Tom Alexandre Bell. 15.05.2007

MESSMER, Massacres au Cameroun


PIERRE MESSMER, l'autre cauchemar des Africains s'en est allé.


Comme Roland PRÉ, ou Maurice Delaunay, Pierre MESSMER appartient à cette catégorie d'hommes qu'il ne faut jamais avoir rencontrés sur son chemin en tant qu'africain dans ses années de haut commissaire du Cameroun. D'une telle rencontre, on ne sort jamais indemne; les plus chanceux se sont retrouvés avec toute leur famille décimée. Avec sa disparition, c'est aussi un des grands artisans du génocide Camerounais qui tire sa révérence. Génocide que la France n'aura jamais le courage de reconnaître. Politique génocidaire mise en place par De Gaulle dans toute l'Afrique dite "francophone" et dont la mise en application était orchestrée par Roland Pré, Pierre Messmer et bien d'autres lugubres personnages qui entreront dans l'histoire de la France comme de "Grands".


Pierre Messmer restera pour toute une génération d'africains et de Camerounais en particulier, le symbole de la cruauté vivante, celui qui distribuait à tout va la mort à ces Africains qui se refusaient d'obéir aux injonctions lapidaires d'une France en plein exercice de colonisation et prête à châtier quiconque lui résistait comme le faisait remarquer son prédécesseur Roland Pré "Je suis fortement ému parce que le peuple camerounais s’est laissé un instant entrainer par certains trublions que la justice française ne manquera pas de châtier. C’est vraiment choquant d’apprendre que le Cameroun veut obtenir en moins d’un quart de siècle, ce que la France a obtenu en plusieurs siècles, c’est-à-dire l’étape de l’indépendance" .




Celui que l'histoire officielle française présente comme l'un des pères de la "décolonisation" n'en était pas un, mais plutôt un ardent défenseur de l'asservissement des peuples africains. Car il considérait que se défendre de la colonisation était un acte de haute trahison et par conséquent il fallait être impitoyable avec de tels individus.


Comment peut-on être un fidèle de De Gaulle et être pour l'indépendance des peuples en Afrique ? De Gaulle et Indépendance dans le cas de l'Afrique sont deux mots aux antipodes l'un de l'autre. L'indépendance, la décolonisation suppose la liberté de tout peuple à disposer de lui même. Tout le contraire de la politique gaullienne en Afrique et qui poursuit son cours jusqu'à nos jours. Dire que Pierre Messmer a préparé la décolonisation donc l'indépendance des pays africains est, comme vous l'aurez compris, un vaste exercice de démagogie donc un mensonge républicain. Être gaulliste à l'aune de l'Afrique, c'est être pour le pillage des matières premières et autres richesses et évincer celles ou ceux qui s'opposent à cet état des choses par n'importe quel moyen. La jeunesse africaine doit plutôt retenir de cet homme qu'il a contribué à la destructuration des équilibres de leur continent et qu'il est important de garder en esprit que ''la France n'a pas d'amis, elle n'a que des intérêts" comme le disait De Gaulle, le fondateur de l'idéologie néocolonialiste qui sévit en Afrique et dont les conséquences sont décrites dans "Les servitudes du pacte colonial" de Mamadou Koulibaly.

Rédigé par Anton G.

Comment Messmer a massacré les Camerounais

La mort de cet homme est presque passée inaperçue au Cameroun. Alors que le pays vit encore aujourd’hui les séquelles des horreurs commis pendant qu’il était à la tête du Cameroun sous tutelle de la France.

En 1956, Pierre Messmer foule le sol camerounais, comme haut-commissaire de la France. On est en pleine période de lutte pour l’indépendance. Celle-ci est principalement menée au pays par l’Union des populations du Cameroun (Upc), parti politique de l’opposition dont Ruben Um Nyobé est le secrétaire général. La formation est désormais sous maquis. Ses leaders, contraints à l’exil pour la majorité, poursuivent la lutte alors que le parti a été interdit un an plus tôt (1955) par le prédécesseur de Messmer, Roland Pré.

Sous une double tutelle (française dans partie orientale et anglaise dans la partie occidentale), le pays de Martin Paul Samba connaît une grande agitation. Les revendications, formulées par l’Upc avant son interdiction, sont plus que vivaces dans l’esprit des nationalistes. Les deux premières sont : l’indépendance immédiate et la réunification des deux parties du territoire. C’est, en tout cas, ce qui a été défendu à la tribune des Nations unies par les plénipotentiaires de l’Upc dont Félix Roland Moumié, le président du parti.

Quand Pierre Messmer arrive donc, il a pour mission de mâter toute velléité de contestation. Il doit surtout extirper la fibre nationaliste que l’Upc et les mouvements syndicaux travaillent à susciter au sein du peuple depuis une dizaine d’années. Pour la France, pas question que l’indépendance apparaisse comme le fruit d’une revendication nationaliste. “ Nos ancêtres les Gaullois ” estiment qu’elle doit être considérée comme “ donnée ” par la seule volonté de la France. Messmer va employer toute son énergie à consolider les acquis de la “ mère patrie ” au Cameroun pour qu’au moment de l’indépendance, le pays soit confié aux gens avec qui la métropole aura composé.

Bourreau des nationalistes

Frank Garbely, auteur du documentaire “ L’assassinat de Félix Moumié ”, déclare dans ses commentaires, que Messmer transforme la plus grande victoire de Moumié, en une défaite cinglante. “ Son arrivée est une journée noire pour Moumié ”, affirme-t-il. Dans ce film, Messmer, interrogé dans les bureaux de l’Institut de France dont fait partie l’Académie française, affirme d’entrée de jeu son inimitié pour les nationalistes camerounais.

Parlant de Moumié, il déclare : “ Lui n’était intéressé que par le combat pour le pouvoir, il n’accepte aucune élection. ” Il explique de quelle façon, dès son arrivée, il prend à contre pied les nationalistes camerounais, en leur accordant la contrefaçon de ce qu’ils réclament, à savoir l’indépendance. “ J’ai tout de suite dit que la France acceptait l’indépendance du Cameroun, et la réunification du Cameroun français au Cameroun britannique. Une chose que personne n’avait osé dire avant, parce que cela ne faisait pas plaisir aux Anglais. J’étais le premier à oser le dire, et à partir de ce moment-là, l’Upc se trouve dans une situation extrêmement difficile, parce que c’était sa revendication. ”

Les leaders de l’Upc ne veulent pas de cette indépendance piégée. Pierre Messmer prend très mal cette réticence et les considèrent comme des ennemis. “ A partir de ce moment-là, l’Upc est obligé, ou bien de rentrer dans le système, parce qu’il doit y avoir des élections, ou bien alors, comme ils le décident, de rester dans la rébellion. Mais à partir de ce moment là, ça prouve que ce n’est pas un parti indépendantiste, mais un parti révolutionnaire ”, dit-il.

Les leaders de l’Upc sont désormais dans l’axe du mal et traité comme tels. Il n’est pas question de laisser la situation s’embraser au Cameroun, car une révolution réussie ici pourrait donner des idées aux autres pays du pré carré français. Dans un document secret, publié dans le documentaire de Frank Garbely, cette volonté est clairement affichée : “ La position de la France au Cameroun conditionne la position de la France dans toute l’Afrique centrale ”, indique le document.

L’Upc organise une manifestation à Massock, dans la Sanaga Maritime. L’armée française intervient énergiquement. Le bilan est effroyable, selon un témoin qui relève des viols, des tueries et des déportations. Pierre Messmer justifie l’intervention de l’armée française : “ En effet des unités de simple gendarmerie ne pouvaient pas combattre effectivement une rébellion, surtout dans ce pays de la Sanaga Maritime qui est un pays de grande forêt, en pleine forêt équatoriale. J’ai à ce moment là demandé l’intervention de l’armée. On a dirigé sur le Cameroun des unités africaines, d’ailleurs venues du Tchad. La mission de ces unités était de faire disparaître le maquis, et ils y sont arrivés d’ailleurs. ”

Après avoir exterminé la population, il faut maintenant attaquer le mal à la racine. Les colons entreprennent donc de dessoucher le parti. La recherche des leaders est plus active. Pour les coincer, les colons obligent les villageois à se regrouper dans des camps, question d’isoler les leaders. “ Um Nyobé et ses complices, qui n’étaient pas très nombreux, et qui vivaient dans ce maquis, étaient un petit peu dans le pays Bassa comme des poissons dans l’eau…L’armée s’est efforcé de pomper l’eau, pour que les poissons soient au sec. C’est-à-dire que l’armée s’est efforcée de ramener vers les grandes routes qu’elle contrôlait, des petits villages qui étaient à l’intérieur de la forêt ”, affirme Messmer.

Il est évident que l’armée française ne suppliait pas les villageois pour qu’ils rejoignent les camps, comme le témoigne dans la documentaire André Nguimbous, agriculteur dans la région : “ Pour vous obliger à venir habiter ici, on brûlait même votre maison. Et surtout dans la nuit, on vous faisait embarquer dans les camions pour venir vous laisser ici. ”

Le travail à partir de Paris

Messmer, après ces loyaux services rendus à sa patrie, est récompensé en 1960 (année de l’indépendance du Cameroun sous tutelle française), quand il est nommé ministre des Forces armées à Paris. Il occupe ce poste pendant neuf ans. Un record de longévité expliqué par la situation particulièrement délicate que devait gérer la France à l’époque : administrer les colonies qui manifestent les velléités d’indépendance. Et pour mieux contrôler cette situation, il fallait un “ homme de la situation ”, comme Messmer.

Désormais, c’est depuis la métropole qu’il sévit sur les rebelles africains, ou, pour parler comme eux, c’est de là qu’il “ prépare ” l’indépendance des colonies françaises d’Afrique. De cette position, il “ suivra ” également l’évolution de ces colonies après 1960, années des indépendances. Il tisse à partir de là un réseau plus large pour traquer les leaders nationalistes même hors de leurs frontières. Au Cameroun en particulier, sont installées des marionnettes locales, téléguidées à distance pour faire le sale boulot commencé plus tôt.

En 1966, Maurice Delaunay est nommé à la tête de la région Bamiléké, à Dschang, avec pour mission de briser l’Upc et réduire la résistance à néant. Ce dernier fait son travail avec méthode, et suivant les instructions de sa hiérarchie. “ Une tuerie en masse ”, témoigne Sa majesté Jean Rameau Sokoudjou, chef supérieur Bamendjou. Ce dernier a été assigné à résidence surveillé dans son propre palais pendant deux ans, pendant que d’autres chefs traditionnels bamiléké hostiles à la colonisation étaient martyrisés, envoyés en prison ou simplement remplacés. Delaunay avoue avoir fait un camp dans les montagnes, au dessus de Bafoussam, où il y avait 800 personnes gardées pas des soldats français et camerounais restés fidèles.

A Batcham, un camp militaire est aussi installé. C’est de là que sont dirigés les bombardements aériens. Ici aussi, comme en Sanaga Maritime, on a forcé les populations à se regrouper dans les camps. Tous ceux qui ne viennent pas ici sont considérés comme faisant partie des maquisards, à éliminer. De l’autre côté, ceux qui ont refusé d’aller dans les camps considèrent ceux qui y sont comme des traîtres. La population est désormais liguée contre elle-même. Une situation que le colon ne pouvait que souhaiter.

Dans toute la région, les tueries succèdent. Jacques Verges, un avocat français, pense même que du Napalm, une arme de destruction massive, a été utilisée sur des populations civiles, que les prisons étaient des mouroirs, où des gens étaient torturés, tués. Une fois de plus, Messmer justifie ce déploiement impitoyable de l’armé sur ces zones du pays : “ L’Upc était un parti communiste, dirigé par des chefs communistes impitoyables. Um Nyobé, et surtout Moumié, étaient des gens impitoyables. Alors quand vous êtes impitoyables, vos adversaires ne vous font pas de pitié non plus, ils ne vous font pas de cadeau. ”

La malédiction Messmer

Impitoyable, Messmer, du haut de son ministère des Forces armées l’aura été. Les leaders nationalistes camerounais, pour ne parler que d’eux, sont victimes d’attentats. Ruben Um Nyobé, le secrétaire général de l’Upc, est assassiné le 13 septembre 1958 dans la forêt de Boumnyebel en pays Bassa. Félix Roland Moumié, le président, est empoisonné au thallium à Genève en Suisse le 3 novembre 1960. Ossendé Afana est fini en mars 1966. Ernest Ouandié, le dernier verrou, est fusillé à Bafoussam en janvier 1971. “ Il semble peu douteux que Moumié a été effectivement exécuté. A mon avis, la France s’en moquait éperdument. Cela arrangeait surtout le nouveau président, monsieur Ahidjo ”, déclare pour finir, Messmer. Messmer présente ces “ bons ” résultats à ses chefs, et comme récompense pour travail bien fait, il accède à la Primature française, à Matignon, en 1972.

Voilà l’image que les Camerounais, qui n’ont pas la mémoire courte, gardent de cet homme qui a rendu l’âme le 29 août 2007. Aujourd’hui encore, ils continuent de subir le régime néocolonialiste imposé par lui qui, dans sa “ préparation ” des indépendances, a tout fait pour que la main lourde du colon continue de peser sur la population. Fatalement.

Par Roland TSAPI, Le Messager. 03-09-2007

lundi 27 août 2007

Vidéo : AFRIQUE 50 de René Vautier (1950)

AFRIQUE 50 de René Vautier : Premier Film Anticolonialiste (1950)




René Vautier
René Vautier est né en 15 janvier 1928 à Camaret. Il est engagé dans la Résistance, alors qu'il était en sixième ou en cinquième, dans un lycée à Quimper. A la fin de la guerre, il reçoit la Croix de guerre, mais, marqué par son expérience, il est déjà antimilitariste, pacifiste et non-violent. Il intègre l'Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (IDHEC) en étant reçu premier à l'écrit, deuxième à l'oral, au concours d'entrée. Il en sort diplômé en 1948, section réalisation/production. Dès lors, René Vautier filme, filme... Il est un des témoins du siècle. Sa caméra se tourne vers les Africains colonisés, vers l'Algérie en guerre, vers Portsall, vers l'Afrique du Sud, vers Chateaubriand, vers la Tunisie, vers Mururoa, vers Brest, vers le Zimbabwe, vers l'Argentine, vers l'Ile de Sein, vers la Cornouaille... vers Gilles Servat, Alan Stivell, Glenmor, vers la lutte des femmes, vers les torturés de Le Pen de la Guerre d'Algérie, vers les Bretons ramassant le mazout de L'Amoco Cadiz, vers les Algériens dans leur lutte pour leur indépendance...

Histoire du film

En 1949, la Ligue de l'enseignement propose à René Vautier de réaliser un film montrant "comment vivent les villageois d'Afrique occidentale française". Ce film est destiné à être montrer aux élèves des collèges et lycées de France. En accompagnant une équipe de routiers éclaireurs de France, il doit ramener des images sur la réalité africaine, puis en faire un montage. Vautier arrive donc en Afrique à 21 ans, sans idées préconçues. Cependant, de son périple africain, sortira le premier film anticolonialiste français.

Sur le sol africain, Vautier est accompagné par le gouverneur. Ce-dernier tend à conseiller à Vautier de filmer les ananas du jardin de l'Office du Niger, alors que le documentariste était plus intéressé par les galériens noirs qui manoeuvraient à bras les vannes d'une écluse d'un barrage qui alimentait en électricité les maisons des blancs, mais pas le barrage : les Nègres coûtent moins cher... Vautier est révolté par le vrai visage du pouvoir colonial. Pendant près d'un an, en partie accompagné par Raymond Vogel, il parcourt le Mali, la Haute Volta, la Côte d'Ivoire, le Ghana, le Burkina Faso. Et il filme, grâce aux Africains qui le protègent. De nombreuses péripéties marquent le tournage.

Les bobines sont ramenées par petits bouts, par des amis africains qui rentrent en France. De retour en métropole, Vautier les amènent à la Ligue de l'Enseignement, mais la police est là pour saisir les négatifs. Le Ministère de l'Intérieur les développe. Alors qu'il doit reconnaître avoir filmé chaque bobine, Vautier arrive à subtiliser 21 bobines (sur 60) en présence de policiers. Vautier fait le montage, puis la sonorisation en direct lors de la projection du film, en face du bureau du policier chargé de le saisir !

La diffusion du film ? militante !

Le film a donc été monté et sonorisé, mais il n'existe pas, puisque c'est le Ministère de l'Intérieur qui est censé être en possession de toutes les bandes. Des copies sont tirées grâce à la complicité de la société Tirage 16. La première diffusion a lieu à Quimper, dans la salle du gymnase municipal, d'autres suivent à Brest, Lorient... puis dans toute la France par l'intermédiaire des mouvements de jeunes. Entre 600 et 700 000 personnes ont probablement vu ce film, lors de sa "sortie".

Ce que montre ce film

Afrique 50 est une invitation à suivre Vautier lors de son périple africain ; dès la première phrase, la présence française en Afrique apparaît autoritaire : "Les seuls blancs qui sont entrés avant toi dans ce village sont ou bien l'administrateur qui venait prendre l'argent pour l'impôt ou bien le recruteur qui venait prendre les hommes pour l'armée". Voilà qui annonce le ton du film. Puis, le spectateur est invité à suivre les enfants noirs dans leur village. Pour chaque élément, Vautier dit la réalité tel qu'il aurait dû la représenter pour la Ligue, mais à chaque fois, il montre ce qui se cache derrière cette réalité. Par exemple, les enfants semblent insouciants lorsqu'ils jouent ou se baignent dans le Niger, "mais que feraient-ils d'autre ? Il y a place dans les écoles d'Afrique Noire pour 4% des enfants d'âge scolaire, juste le pourcentage suffisant pour que l'administration ait des greffiers et les compagnies coloniales des comptables."

Le réalisateur s'intéresse ensuite à l'oppression française : "Regarde ce qui guette les villages africains (...) Ici une enfant de sept mois a été tuée, une balle française lui a fait sauter le crâne (...) en notre nom à nous, gens de France ! (...) Des noms de villes sonnant aux Africains comme des Oradours..." Voici en quelques lignes quelques éléments apportés par Vautier dans son film.

C'est la voix de René Vautier qui résonne sur la bande-son. L'acteur pressenti pour dire le texte écrit s'étant, sous une probable pression ou un manque de courage, rétracté au dernier moment, Vautier a lui dit le texte de ce film en improvisant (car l'acteur avait la seule copie du texte). Sa voix tremble, et fait trembler le spectateur, lorsque Vautier scande les noms des bourreaux et des compagnies coloniales qui exploitent, maltraitent, assassinent les Noirs.

Ce film est donc le premier film anticolonialiste. Le film fut pendant de très nombreuses années interdit car sans existence reconnue et donc sans visa. En 1997, le Ministère des Affaires Etrangères lui remet une copie de son film "courageux et nécessaire", montrant que dans les années 50 existait en France un sentiment anticolonialiste fort. Vautier refuse toujours de demander un visa et "attend qu'on pousse le cynisme jusqu'à lui saisir une nouvelle fois ce film qu'on lui a d'abord détruit puis offert". Ce film a probablement marqué Vautier dans son engagement qui sera le sien, notamment lors de la guerre d'Algérie.

Source : http://mael.le.hir.free.fr

samedi 25 août 2007

UM NYOBÈ RUBEN, sa Vie, Son Combat, Son Oeuvre

(1913 - 1958)

« Ruben Um Nyobè par son engagement tenta à son époque de modifier l’ordre colonial, et la vision de l’homme, de la production de la vie et de la culture qui le sous-tendait […] Ce personnage-charnière est incontournable dans l’histoire du Cameroun…par-dessus tout, il ouvre une période politique et culturelle nouvelle au Cameroun : celle de l’invention d’une identité nationale.


Il avait ordonné son activité intellectuelle autour d’un projet de rupture avec l’ordre colonial. En transcendant l’horizon politique proprement local, il tenta d’organiser intellectuellement la rupture avec l’ordre colonial en inoculant, dans la formation culturelle de son époque, des énoncés porteurs de conflits nouveaux et étalés sur une échelle nationale. L’originalité d’Um Nyobè fut d’articuler intellectuellement la question de la distribution de la compétence politique au sein de la société de son temps. Ce faisant, il heurta de front la théodicée et les rites de l’État colonial. Il construisit les outils culturels et échafauda l’équipement mental susceptible d’aggraver la prise de distance par rapport à la logique d’exclusion coloniale. Toute sa réflexion est l’expression du refus des Africains de se laisser déposséder des instruments de production du politique à l’époque. Um Nyobè tenta de dés-absolutiser l’évènement colonial. Il voulut le ramener dans le champ de ce qui méritait discussion, alors même qu’il prétendait se situer hors du dit champ, et aspirait à être admis sans discussion.

Voilà certaines des raisons pour lesquelles sa pratique sociale et intellectuelle contribua à modifier considérablement les structures mêmes de l’imaginaire politique et des systèmes de représentation en vigueur à l’époque. Um Nyobè fournit à ses contemporains un nouveau cadre de référence en proposant de « refaire la société » et en réussissant à l’imposer, comme paradigme central dans la réflexion, l’énoncé de l’indépendance. On a du mal à soupçonner de nos jours les bouleversements que put entraîner, dans les structures mentales d’une société capturée, depuis près d’un demi-siècle, dans les rêts de l’idéologie de la « mission civilisatrice », l’idée selon laquelle la sortie de cette captivité culturelle et politique était de l’ordre du pensable et du réalisable. Son apport intellectuel et pratique à la mise à terme de l’ordre colonial dans ce pays est inesquivable. » [Achille Mbembe, 1989].


Um Nyobè est né en 1913 à Song Peck près de Boumnyébel à 180 kilomètres de Douala dans l´arrondissement d´Eséka, de Nyobé Nsounga et de Ngo Um Nônos, des paysans Basa’a.


En 1920, il entre à l´école presbytérienne de Makaï où il est baptisé « Ruben » en 1921. En 1924 il quitte cette école pour l´école d´Ilanga près d´Eséka où il obtient son certificat d´études primaires en 1929 puis il intègre en 1931, l´École normale de Foulassi en région Bulu, tenue également par les presbytériens. Il est renvoyé de cette école, l´année où il doit obtenir son diplôme de fin d´études, accusé d´être toujours prompt à prendre la tête des mouvements de revendication et de protestation. Il obtiendra néanmoins son diplôme de fin d´études, en temps que candidat libre.

Il enseigne pendant quelques années dans les écoles presbytériennes. En 1935, il est admis au concours des commis des services civils et financiers. Il poursuit ses études en travaillant et obtient par correspondance sa première partie du baccalauréat en 1939. La même année il est affecté au greffe du tribunal d´Édéa. Au fil de ses affectations, il prend peu à peu conscience de l´injustice à laquelle sont soumis les camerounais, à travers le système de « l´indigénat ». En effet, la loi distingue les indigènes (camerounais) considérés comme des sujets et les français, considérés comme des citoyens. La « loi » ne laisse aucune possibilité d´expression politique ou de défense des droits des travailleurs aux indigènes.

La participation de nombreux indigènes à la guerre de 1939-45 poussera le général De Gaulle, « héros » de la France libérée de la colonisation allemande, d´alléger quelque peu la rigueur des lois sur l´indigénat. En 1944, sous la pression des évènements, les autorités françaises reconnaissent aux travailleurs camerounais le droit de s’affilier à des syndicats.

Dans la foulée de la libération de la France et de la défaite de l’Allemagne, le Cameroun est placé sous la tutelle de l’Organisation des Nations unies (ONU). La Grande-Bretagne reçoit de l’ONU le mandat d’administrer les territoires du Cameroun occidental et la France celui d’administrer ceux du Cameroun oriental avec pour mission de conduire ce pays à l’indépendance.

Nul ne sous doutait alors que la France ne consentirait jamais à conduire ce territoire aux potentialités énormes à une autonomie effective et à l’indépendance comme le prévoyaient les accords de tutelle signés en décembre 1946 aux Nations unies.

Les gouvernements français successifs de Charles de Gaulle de 1944-46 et du même Charles de Gaulle en 1958 à 1959 en passant entre autre par ceux de Paul Ramadier (1947), Edgar Faure (1955-56), Guy Mollet (1956-57), réussirent donc avec toute la violence et la force oppressive propre à la France à intégrer le Cameroun dans l’Union Française. Ruben Um Nyobè qui a une toute autre conception du socialisme fait remarquer qu’« il est honteux de constater qu’un gouvernement dirigé par Guy Mollet, Secrétaire Général du Parti Socialiste français (SFIO - Section française de l’Internationale ouvrière) ne préconise comme toute solution au grave problème camerounais que la menace de l’emploi de la force et les manœuvres de division, procédés propres aux colonialistes les plus attardés. »

En 1954, à l’occasion du débat à l’Assemblée nationale sur la politique du gouvernement français en Afrique du Nord, le général Aumeran déclare : « La France perdra son rang de grande puissance, le jour où elle aura perdu toutes ses colonies». Ruben Um Nyobè de rétorquer : « la France ne méritera jamais son rang de grande puissance aussi longtemps que la France continuera à opprimer les colonies. »
Déjà à cette époque, comme aujourd’hui par ailleurs, la seule constante dans la politique française demeure les « rapports » que les gouvernements successifs de droite comme de gauche entretiennent avec l’Afrique. De 1944 à 1960 soit 24 ans, il y eu au total 26 gouvernements en France toutes tendances confondues, droite conservatrice, socialiste et communiste, mais jamais au cours de ces 24 ans la coloniale ne lâcha prise en Afrique. Après la débâcle en Indochine (actuel Vietnam), l’enlisement en Algérie, les colons et les gouvernements français ne pouvaient souffrir de voir le Cameroun leur « échapper ». Cameroun où au même titre qu’en Algérie, l’armée fasciste française battra ses propres records de répression, de destruction et de massacres.

Après une série d’échecs, le gouvernement français par l’entremise de son ministre des colonies Gaston Defferre propose en 1956 de dissoudre l’Assemblée territoriale du Cameroun (ATCAM) et d’organiser de nouvelles élections sous l’égide de la loi cadre Defferre. Ruben Um Nyobè dira à ce sujet : « Je pourrais seulement lui [Charles Assalé] dire et par cela à MM. Gaston Defferre et Pierre Messmer que la tentative d’intégrer le Cameroun par la force dans l’Union Française ne date pas d’aujourd’hui. L’expérience Roland Pré a échoué, celle de Gaston Defferre échouera plus lamentablement car, non seulement le peuple camerounais n’ira pas aux urnes le 23 décembre, mais également nous nous opposerons de toutes nos forces à toute tentative de la France à mettre des marionnettes en place pour faire du Cameroun un second Togo. »

La loi-cadre Defferre de sources officielles habiliterait le gouvernement français à statuer par décret dans un domaine réservé en principe à la loi. Elle crée dans les territoires dits d´outre-mer des assemblées élues au suffrage universel, ce qui permettrait au pouvoir exécutif local d´être plus « autonome » vis-à-vis de la France. Elle instaure aussi le collège unique alors que jusque là les habitants étaient répartis en deux collèges selon leur statut.

Pour le leader nationaliste, la loi-cadre Defferre n’est autre « qu’un acte de désarroi, qui mérite une analyse sommaire pour avertir l’opinion camerounaise de l’escroquerie politique et de l’hypocrisie dont on voudrait user pour intégrer notre peuple dans l’empire colonial français ».

Malgré la supercherie de la loi cadre, la dissolution de l’Assemblée territoriale et l’élection prochaine d’une nouvelle assemblée et les modalités qui s’en suivent sont néanmoins « une victoire de la lutte de notre peuple » aux yeux de Um Nyobè. Victoire qui selon lui se dégage en deux points : l’instauration du suffrage universel et le collège unique. Jusqu’alors, les consultations populaires se sont toujours déroulées sur la base d’un suffrage restreint, le droit de vote n’ayant été jusqu’ici reconnu qu’à certaines catégories d’individus. Or l’Union des Populations du Cameroun (UPC) a toujours revendiqué l’institution du suffrage universel au Cameroun : « L’institution du suffrage universel vient donc couronner nos efforts et c’est dans une grande fierté que notre peuple doit saluer cette conquête populaire ». L’autre point est l’abrogation du système du double collège dans lequel il y a une liste électorale pour les citoyens français et une autre pour les autochtones. Par ce jeu de racisme, 12´000 citoyens français résidant dans le pays sont représentés à l’ATCAM par 105 conseillers, alors que plus de 3 millions de camerounais n’y sont « représentés » que par 32 conseillers.

De 1952 à 1954, Um Nyobè ira à trois reprises aux Nations Unies défendre la cause du Cameroun. D’après Richard A. Joseph (1986) : «A chaque fois que Um Nyobè se présentait aux Nations unies, la France mettait en avant des délégués camerounais qui tournaient en dérision l´idée d´unification. Il y avait donc de multiples obstacles : l´idée de réunification des Cameroun n´emporta jamais l´adhésion des Nations unies. Tous les adversaires politiques de l´UPC s´y opposaient avec véhémence... ».

En décembre 1952, Charles Okala, futur ministre des travaux publics - transports et mines, ministre de la justice puis des affaires étrangères dans le gouvernement d’ Ahmadou Babatoura Ahidjo de 1958 à 1961 et Alexandre Douala Manga Bell, représentant à l’ARCAM (Assemblée représentative du Cameroun) et député à l´Assemblée nationale française depuis 1946 sont les portes parole de l’administration coloniale qui s’oppose aux revendications portés par Ruben Um Nyobè et contestent la représentativité du Mouvement nationaliste devant les Nations unies. Quelques temps avant, le 24 octobre de la même année, Soppo Priso, président de la JEUCAFRA (Jeunesse camerounaise française) et futur président de l’ATCAM héritière de l’ARCAM signe la motion du Dr Louis-Paul Aujoulat s’opposant à l’audition de l’UPC par l’Assemblée Générale de l’ONU.

Dans la foulée, un certain Léopold Sédar Senghor, premier africain agrégé (agrégation en grammaire), naturalisé français en 1933, enrôlé comme soldat de 2ème classe et intégré dans les contingents indigènes de l´armée française en 1939, capturé et détenu par les allemands pendant 2 ans au Stalag 230, secrétaire d´État auprès du chef du gouvernement français Edgar Faure de 1955-1956, premier président du Sénégal (1960-1980), premier africain à siéger à l’Académie française (1983), apôtre de la « négritude », témoigne aux tribunes de l’ONU sur « l’absence de discriminations raciales dans le territoire du Cameroun et notamment au sein des instances judiciaires où autochtones et français sont équitablement représentés». Il affirmera par la suite que « les Africains ne veulent pas l’indépendance mais l’interdépendance dans le cadre de l’Eurafrique ».

Pour Frantz Fanon (F. Fanon, 1969) en désaccord avec la « négritude », le statut des personnes dépend de leur position économique et sociale et seul compte le combat pour l´indépendance politique. Pour lui, une révolution violente est le seul moyen d’en finir avec la répression coloniale et le drame culturel dans les territoires colonisés.

Ruben Um Nyobè dénonce alors la complicité des instances dirigeantes des Nations unies : « Le problème a été exposé dans tous ses détails devant les Nations unies. Si jusqu’ici une suite définitive n’a encore été réservée à nos interventions, c’est que la politique colonialiste de la France bénéficiait des appuis de la part de certains membres du Conseil de Tutelle. »

Sept ans plutôt, en 1945, grâce à l´appui de la Confédération Générale des Travailleurs (CGT), syndicat français proche du parti communiste français, Um Nyobè participe à la création de l´Union des Syndicats Confédérés du Cameroun (USCC) dont il devient le secrétaire général adjoint. Il va alors consacrer son énergie à créer une multitude de syndicats qu´il réussit à fédérer en unions syndicales régionales résolument engagées en faveur de la reconnaissance des droits du travailleur camerounais. L´USCC est une initiative du Cercle d’Études Sociales et Syndicales ou Cercle d´Études Marxistes. Mis en place par le français Gaston Donnat et ses amis dont Maurice Méric, le Cercle est une sorte d´école de formation au syndicalisme où on analyse et étudie le système d´exploitation économique et politique du régime colonial. Dès juin 1944, de jeunes fonctionnaires camerounais participent aux premières réunions : Zolo, maître d’école, Ruben Um Nyobè, greffier, Jacques N’gom employé de l’administration, Charles Assalé, infirmier, Ekabissé, postier, Sakouma, employé, André Fouda, Tchoumba Ngouankeu,… Malgré les nombreuses défections la plupart seront très assidus aux conférences données par les syndicalistes de la CGT.

Militant anticolonialiste et premier secrétaire général de l’USCC, Gaston Donnat arrive au Cameroun en 1944 en provenance d’Algérie. Instituteur de formation, le français enseigne alors à l’École supérieure de Yaoundé (actuel Lycée Général Leclerc). Il est aujourd’hui reconnu et salué par tous pour avoir initié les camerounais comme Um Nyobè et Jacques N’gom au syndicalisme et à la lutte politique. Après son départ en 1947, Charles Assalé devient secrétaire général de l’USCC qui après sa défection en 1948 sera remplacé par Jacques N’gom. Charles Assalé deviendra par la suite ministre des finances du Cameroun colonial français dans le gouvernement Ahmadou Babatoura Ahidjo de février 1958 à septembre 1959, puis premier ministre du Cameroun oriental de mai 1960 à juin 1965.


Dans son livre Afin que nul n’oublie – Itinéraire d’un anti-colonialiste (1986), Gaston Donnat rapporte les propos de Ruben Um Nyobè à la première rencontre du Cercle en juin 1944 : « Je tiens à remercier nos amis Blancs qui nous ont reçus chez eux pour nous faire des déclarations aussi importantes. C’est la première fois que je m’assois à la table d’un Blanc : je considère cela comme un grand évènement au Cameroun. Je ne l’oublierai pas. Ce que j’ai entendu, m’a beaucoup intéressé et personnellement, je souhaite que l’on maintienne les réunions. Nous avons besoin d’acquérir des connaissances qui nous font totalement défaut et je crois, moi aussi, que la fin de la guerre sera favorable à des changements dans le Monde. Nous devons nous y préparer.»


Parlant de Gaston Donnat, Michel Ndoh rapporte en 1984 : « Le nom de Donnat est resté jusqu’ici une sorte d’énigme pour beaucoup de patriotes Camerounais dans la mesure où l’utilisation de l’épouvantail «communiste» par les autorités de la période tant coloniale que néocoloniale forçait ceux l’ayant fréquenté à garder à son sujet un prudent silence, tandis que de temps en temps quelqu’un ou un journal de l’autre camp insinuait comme une sorte d’insulte à l’adresse des patriotes que le nationalisme camerounais n’était qu’un masque introduit dans notre pays par un certain Donnat au service du communisme international ».

Gaston Donnat s’est éteint le 10 février 2007 à l’âge de quatre-vingt-treize ans. Ses mémoires Afin que nul n’oublie… permettent aux générations actuelles de ne pas oublier que le racisme, l’exaltation de la colonisation n’étaient pas partagés par tous, même à l’apogée du système [Alain Ruscio, Journal l’Humanité, 18 février 2007].


Dans le Cercle d’Études donc, on développe l´idée selon laquelle le système d´exploitation des travailleurs s´appuie sur le statut colonial du Cameroun et que l´amélioration du sort des travailleurs passe nécessairement par l´émancipation politique du Cameroun. On consent alors que l´indépendance seule peut permettre l´amélioration du sort des travailleurs et des masses laborieuses. L´indépendance du Cameroun devient alors pour Um Nyobè, un objectif stratégique autour duquel viendra se greffer celui la réunification. En 1946, le gouvernement français autorise la création de partis politiques au Cameroun.

Le 6 avril 1947 des fonctionnaires dont fait parti Ruben Un Nyobè crée le RACAM (Rassemblement camerounais), front anticolonialiste qui réclame la fin des mandats tutélaires, en application de la charte des Nations unies, et la réunification du Cameroun. Le parti est interdit au bout de deux mois. Plusieurs membres du Bureau dont Um Nyobè reçoivent des affectations arbitraires dans les postes de brousse.


Les nationalistes reviennent aussitôt à la charge et le 10 Avril 1948 naît à Ndokoti (Douala) dans la modeste cour d’un bar nommé Pension Raphaël l´Union des Populations du Cameroun (U.P.C). L’Assemblée fondatrice est constituée de 12 membres dont Ruben Um Nyobè, Charles Assalé, Guillaume Bagal, Mathias Djoumessi, Bouli Leonard, Yapp Emmanuel, Jacques Biboum, Raphael Nkoudou, Ernest Owona, Etienne Libai,….

Pour faciliter la reconnaissance du parti, Um Nyobè et d’autres leaders syndicaux déjà dans le collimateur de l’administration coloniale n’inscrivent pas leurs noms sur la liste officielle des membres fondateurs. Etienne Libai et Bouli Léonard assurent respectivement la direction et le secrétariat général du mouvement. Après plusieurs hésitations des autorités coloniales, le parti est reconnu le 9 Juin 1948. Aussitôt, Um Nyobè accompagné de Mathias Djoumessi, Medou Gaston, Manga Lobe, Azombo Nsomoto, Takala Célestin se dévoile et apparaît le 17 Juin à Abidjan comme le représentant officiel de l´UPC au congrès du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), mouvement anticolonialiste présidé par l’ivoirien Félix Houphouët-Boigny. L’UPC devient en janvier 1949, une branche territoriale du RDA comme c’est le cas au Mali où le mouvement est animé par Modibo Keïta, au Niger par Djibo Bakary et en Guinée par Sékou Touré.

En Novembre 1948, Ruben Um Nyobè est élu secrétaire général de l’UPC, à Douala, à l’occasion d’un Comité directeur élargi. Lors du premier congrès du parti le 10 avril 1950 à Dschang, Ruben Um Nyobè est confirmé au poste de secrétaire général du parti, Mathias Djoumessi est élu Président et le Dr Félix Roland Moumié Vice-président. Chef traditionnel Foréké (Dschang), Mathias Djoumessi se désolidarise du mouvement peu de temps après, en 1956 il fonde le groupe des Paysans indépendants composé uniquement de dignitaires originaires de l’Ouest du Cameroun et participe aux élections du 23 décembre. En 1957 il est nommé ministre des affaires réservées et des études dans le premier gouvernement camerounais dirigé par André Marie Mbida, puis ministre avec résidence à Dschang dans le gouvernement d’Ahmadou Babatoura Ahidjo en 1959.

En 1951, c’est le divorce entre l’UPC et le RDA. L’UPC maintient sa ligne révolutionnaire et refuse de suivre le RDA quand le mouvement que dirige Félix Houphouët-Boigny inaugure une politique de collaboration avec l’administration coloniale, cédant aux pressions de François Mitterrand, député de la Nièvre, ministre de la France d’outre-mer dans le cabinet René Pleven. Félix Houphouët-Boigny participe par la suite à tous les cabinets ministériels de la France de 1956 à 1959 et devient premier président de la Côte d’Ivoire le 7 août 1960. « Le vieux sage » annonce la couleur en 1956 : « A cette mystique d’indépendance qui n’est pas toujours constructive, nous préférons la mystique de la fraternité ».

Recevant en 1957 son rival le ghanéen Kwame N´Krumah, principale figure du Mouvement panafricain, qui plaide pour une Afrique unie transcendant les États, Félix Houphouët-Boigny, déclare « je vous donne rendez-vous dans dix ans, on verra bien lequel de nous deux a choisi la meilleure voie. » Après l’illusion des années cacao, du Manhattan tropicalisé, de la prétendue vitrine de la France en Afrique, nous osons espérer que « le vieux sage » admettra enfin qu’il ne fera jamais bon de fricoter avec une France non libérée de ses démons colonialistes.

Le Mouvement de libération nationale compte en 1955, sept ans après sa création, 460 comités de village ou de quartier et 80.000 adhérents. Après le mot d’ordre d’abstention lancé par l’UPC aux élections du 23 décembre 1956 à l’ATCAM sous l’égide de la loi-cadre, et surtout à cause de leur incapacité à supplanter l’UPC dans la masse, l’administration colonialiste et le gouvernement français ne cachent plus leur désarroi face à la « force grandissante du nationalisme camerounais » et comprend parfaitement l’impasse dans laquelle il se trouve depuis mai 1955. Um Nyobè de dire : « il [le gouvernement français] a entrepris des opérations de guerre dès le 24 décembre 1956 pour compenser son échec politique par l’épreuve de force. »

Le mois de Mai 1955, un an quasiment avant les élections de 1956, est un tournant décisif dans la lutte pour l’indépendance. En décembre 1954, André Soucadaux, haut-commissaire au Cameroun depuis 1949 est muté à Madagascar et remplacé par Roland Pré qui avait été gouverneur au Gabon, en Guinée-Conakry et en Haute-Volta.

Les émeutes de 1955 avaient été minutieusement préparées par l’administration coloniale. Face à la détermination de l’UPC, le salut du colonat français passait nécessairement par la répression militaire et policière du nationalisme camerounais, l’instauration de l’état d’urgence et la mise hors-la-« loi » de l’Union des populations du Cameroun et de ses dirigeants.

Pendant que le parti pose le problème politique, Roland Pré lui oppose des solutions administratives. Roland Pré va multiplier des communes rurales présidées par un administrateur local ainsi que des conseils de villages. Selon Richard A. Joseph, « le but principal des réformes de Roland Pré était donc d’associer le plus largement possible les masses rurales à la gestion des affaires afin de briser la poussée upéciste au sein des masses paysannes ».

De avril à mai 1955, toutes les réunions de l’UPC sont interdites. Comme le prévoyait sans doute la France, les militants indépendantistes décident de ne plus reculer devant la troupe coloniale. Pour les militants, la troupe n’oserait pas tirer sur la foule parce que le Cameroun est un territoire sous-tutelle des Nations unies : c’est l’affrontement et les massacres.

Pour Frank Garbely réalisateur du film L’assassinat de Moumié « Le meeting du 25 mai 1955 se termine dans un bain de sang. Dans le seul quartier de New Bell, on dénombrera plus de mille morts. Commence une véritable chasse à l’homme, d’abord à Douala, puis dans tout le Cameroun. Partout, Roland Pré fait emprisonner les upécistes. »

D’après Mongo Beti, l’armée coloniale massacra les Africains avec une sorte d’enthousiasme sadique, au point qu’aujourd’hui encore personne ne peut fournir, avec quelque chance de plausibilité, une évaluation même approximative des morts.


Le 25 mai, l’UPC rassemble à Douala toutes les forces démocratiques et syndicales de son parti. Militants du parti, adhérents du syndicat ouvrier, partisans et sympathisants du Mouvement, près de 10´000 manifestants se rassemblent. Alors que quelques milliers attaquent la prison de New-Bell, d’autres déferlent en direction du centre ville, incendient des voitures et puis se heurtent aux principaux carrefours de la ville à l’armée coloniale: mains nues contre automatiques de l’armée française. Dans la nuit du 26 au 27 mai, la mise à sac et l’incendie du siège de l’UPC fera également de nombreuses victimes.


Le 13 juillet 1955 l’UPC et les autres mouvements progressistes JDC (Jeunesse Démocratique Chrétienne) et UDEFEC (Union Démocratique des Femmes Camerounaises) sont interdits par un décret émis par le gouvernement d’Edgar Faure. Um Nyobè s’atèle à démontrer que « que le gouvernement français veut organiser des élections dans un vide politique, dans le seul dessein de mettre en place une assemblée croupion, béni oui oui, pour accepter servilement l’intégration du Cameroun dans l’empire colonial français .»

Les quotidiens français qui dans la grande majorité soutiennent avec acharnement le colonialisme décrivent dans plusieurs numéros la situation au Cameroun. Dans le journal Le Monde du 26 juin 1954, Pierre-Albin Martel écrit : « C’est un fait en tout cas que l’UPC inquiète les autorités et nul observateur ne m’a assuré qu’il faille la considérer à la légère. Son influence est grande à Douala et sur l’autre rive du Wouri elle affleure la région de Yaoundé et s’étend largement plus au Sud. On estime que les fonctionnaires africains, même s’ils gardent de l’affirmer ouvertement, sont dans leur ensemble acquis à l’Union des Populations du Cameroun. »
Max Olivier-Lecamp écrit dans le Figaro du 30 février 1956 : « L’effondrement de l’UPC après les énergiques mesures du 25 mai, doit être considéré très sérieusement. J’ai, en effet, parlé avec un grand nombre de Camerounais de Douala, de Yaoundé et même de la brousse. Tous, à un degré plus ou moins avoué, sont nationalistes. J’ai détecté sans peine quelques crypto-communistes un peu voyants, mais la grande majorité des hommes que j’ai rencontrés n’avaient rien de communiste. La bourgeoisie, généralement chrétienne, plus protestante d’ailleurs que catholique, relativement à l’aise économiquement, et assez évoluée intellectuellement, est résolument nationaliste. »

Des mandats d’arrêts sont émis à l’encontre des leaders du mouvement nationaliste. Ruben Um Nyobè se replie dans sa région natale autour de Boumnyébel. Les autres leaders, le Dr Félix Roland Moumié, Ernest Ouandié, Abel Kingue sont contraints à l’exil. Acculés, traqués, emprisonnés et assassinés, les militants et sympathisants upécistes décident - bien que peu préparés voir pas du tout - de répondre par la seule arme qui leur reste, la lutte révolutionnaire.

Après les élections de 1956 l’appellation ATCAM est changée en ALCAM (Assemblée législative du Cameroun). Les groupes ou partis ayant participés aux élections et représentés à l’ALCAM vont constituer le premier gouvernement camerounais. Il s’agit de : l’Union camerounaise (UC), regroupant 30 élus du Centre et du Nord , conduit par Ahmadou Babatoura Ahidjo, le Parti des démocrates camerounais (PDC) avec 21 membres conduit par André Marie Mbida, « le groupe des huit » du Mouvement d’action nationale du Cameroun avec 7 élus, animé par le tandem Soppo – Assalé, le « groupe des paysans indépendants » comprenant neuf élus sous la direction de Djoumessi Mathias.


André Marie Mbida du PDC devient le premier premier ministre du Cameroun colonial français le 16 mai 1957 et Ahmadou Babatoura Ahidjo vice-premier ministre chargé de l’intérieur. Tombé en disgrâce auprès des parrains français, André Marie Mbida est déposé en 1958 par le nouveau haut commissaire Jean Ramadier arrivé en remplacement de Pierre Messmer avec pour mission d’introniser Ahmadou Babatoura Ahidjo que l’on préparait depuis longtemps pour la tâche. Pour Jean Ramadier une seule issue possible, il faut appliquer le programme de l’UPC sans l’UPC.


En juillet 1957, Pierre Messmer avait été nommé haut commissaire du Cameroun par Gaston Defferre en remplacement de Roland Pré. Dans ce que Pierre Messmer qualifie de « négociation de la dernière chance », il charge Mgr Thomas Mongo, nouveau vicaire apostolique de Douala de persuader le leader de l’UPC que « la France n’est pas hostile à l’indépendance du Cameroun, et qu’il est temps pour lui, et pour le parti qu’il est seul représenter à l’intérieur du Cameroun, de sortir de la clandestinité pour accepter le verdict des urnes dans les élections à venir. »

Le 1er octobre 1957, Ruben Um Nyobè secrétaire général de l’UPC, Théodore Mayi Matip, président de la JDC, une militante de l’UDEFEC, Pierre Yem Mback, chef du secrétariat de l’UPC et son adjoint rencontrent Mgr Thomas Mongo qui tente de faire jouer la fibre ethnique en parlant de sa : « tristesse de voir la Sanaga Maritime et les Basa’a, notre région, notre ethnie, se sacrifier seule, s’isoler et être abandonnée par le reste du Cameroun. »
La rencontre est un échec. Pierre Messmer souhaitait-il réellement une résolution politique du conflit ou simplement localiser le leader nationaliste. Um Nyobè réaffirme à Mgr Mongo que le conflit fraternel en Sanaga Maritime ne peur être dissocié du problème camerounais qui demeure entier : « la terreur menée dans notre région a pour seul objectif de diaboliser l’action des dirigeants upécistes, parce qu’ils sont Basa’a, alors que le nationalisme est unanime dans le cœur des camerounais et surtout chez les jeunes, et que la lutte pour une vraie indépendance n’est toujours pas gagnée, quoiqu’en disent les autorités qui continuent de dénier ce combat, et s’acharnent sur l’ethnie Basa’a de la Sanaga Maritime seulement pour l’exemple. »


Le 3 février 1958, Jean Ramadier nouveau haut commissaire remplace Pierre Messmer. Procédant comme elle l’a toujours fait, l’armée fasciste française amène de l’Afrique occidentale ou du Tchad ses meilleurs éléments africains. La « campagne intensive » que mènent les troupes françaises contraint Ruben Um Nyobè à se déplacer de refuge en refuge, de maquis en maquis, sans armes et sans véritable protection. Dans une atmosphère de délation et de ralliement à l’administration colonialiste le Secrétaire général préfère se déplacer avec une équipe réduite pour plus de discrétion. La mort en Sanaga-Maritime de celui que les paysans appellent maintenant Mpodol, le porte-parole, est officiellement annoncée le 13 septembre 1958. Son secrétaire, Pierre Yem Mback a également perdu la vie. Et pour qu’aucun doute ne puisse subsister, le corps du Mpodol est longtemps exposé à Boumnyébel. Les circonstances de la disparition de Ruben Um Nyobè demeurent mystérieuses aujourd’hui encore malgré les efforts renouvelés de la France et de leurs serviteurs locaux tendant à forger une version crédible de leur forfait. Trahison? Certainement. Surpris dans son campement, a t-il été capturé puis exécuté quelques heures ou quelques jours plutard ? A t-il tenté de s’enfuir mais fût rattrapé par les balles d’un automatique de l’armée française ?

Le 19 octobre 1958, 1 mois après l’assassinat de Ruben Um Nyobè, Xavier Torre, le nouveau haut commissaire de la République française, annonce que la France du général de Gaulle est prête à accorder l’indépendance au Cameroun «…maintenant que l’hypothèque Um Nyobè est levée !»

En octobre 1959, l’ALCAM vote les pleins pouvoirs à Ahmadou Babatoura Ahidjo en vue de « négocier » avec la France les termes de « l’indépendance » dont la proclamation est fixée au 1er janvier 1960. Mais on n’a pas fini d’entendre parler de Ruben Um Nyobè ni, encore moins, de l’UPC.

Le traité de « coopération » et les accords secrets de défense signés entre le premier ministre de la France Michel Debré et le premier ministre Ahmadou Babatoura Ahidjo le 26 décembre 1959 et la répression inexpiable des progressistes camerounaises allait finir de « pacifier » le Cameroun, dit-on.

La disparition brutale de Um Nyobè n’est que le prélude aux assassinats des autres figures historiques de la lutte pour l’indépendance. Osende Afana assassiné et décapité le 15 mars 1966 à Ndélélé (Sud-Est du Cameroun) par une troupe de l’armée française, Félix Roland Moumié, mort empoisonné au thallium le 03 octobre 1960 à Genève par William Bechtel, un agent du SDECE, service secret français, Ernest Ouandié fusillé le 15 janvier 1971 à Bafoussam.


En 1959, à la suite de l’annonce prochaine de « l’indépendance », Félix Roland Moumié et Ernest Ouandié écrivent depuis Conakry : «…l’indépendance actuelle ne répond nullement aux objectifs poursuivis par l’UPC dès sa naissance. A partir du 1er janvier prochain, le Cameroun jouira d’une indépendance nominale. Loin d’être un instrument indispensable au plein épanouissement du peuple, elle sera au contraire le carcan au moyen duquel les agents du colonialisme et de l’impérialisme continueront à le tenir prisonnier dans son propre pays. Ce peuple continuera à aller nu et à mourir de faim dans un pays qui regorge de ressources économiques considérables. […] Si l’expérience fasciste contre laquelle lutte le peuple camerounais réussit, ceux qui y ont intérêt ne s’empêcheront pas d’en étendre le champ d’application… »


Lors d’un exposé au deuxième congrès de l’UPC à Kumba du 14 au 17 décembre 1951 Um Nyobè dira : « l’UPC comprend la nécessité de l’interdépendance des peuples du monde […] Ils [dirigeants et militants upécistes] ne confondent pas le peuple anglais avec l’impérialisme anglais qui maintient les peuples sous sa domination, ni le peuple de France avec les colonialistes français qui pillent et oppriment les peuples de nos pays. Nous devons mettre nos frères en garde contre le danger que consiste la politique du racisme anti-raciste. On ne peut, sous prétexte de lutter pour la libération des Noirs, mener une politique de haine contre les Blancs. La haine raciale est incompatible avec toute idée de progrès. »


Il est donc clair que sans l’UPC, notre peuple serait resté dans la complète ignorance de son statut et par cela même de son avenir. Sans l’UPC, le problème camerounais n’aurait jamais été soulevé devant les Nations unies. Sans l’UPC, le peuple camerounais n’aurait jamais acquis la maturité politique qui lui permet de lutter efficacement aujourd’hui pour l’Unité et l’Indépendance immédiates de son pays (Ruben Um Nyobè, 28 décembre 1955).


Pour Gaston Donnat, « Si l’UPC n’avait pas été persécutée, traquée militairement par l’armée française, peut-être la destinée du Cameroun se serait pas celle qu’il connaît aujourd’hui […] Je suis persuadé qu’un jour viendra où le Cameroun reprendra le bon chemin qui avait été tracé par Um Nyobè Ruben et ses compagnons…»

Pour Mongo Beti, «…la raison de tant d’années d’un combat infernal, en somme pourquoi l’UPC est immortelle. L’enjeu n’en est pas tant une politique, ni un symbole, mais une culture naissante, une mystique peut-être, l’âme même de la nation camerounaise. Les idéaux de la mort de Ruben Um Nyobè se sont allumés comme de premières balises. L’UPC s’est pour ainsi dire incrustée dans le tissu même de la mentalité nationale, à laquelle elle a conféré un grain sans doute définitif, en tout cas durable […] Le premier adolescent venu, s’il est fier et vaillant […] on le hissera sur le pavois de l’UPC.

Tout Camerounais, s’il a de la sensibilité, saisit cette vérité intuitivement.


Principales sources :


- Ruben Um Nyobè, Écrits sous maquis, Notes et Introduction de Achille Mbembe, L’Harmattan, 1989.

- Mongo Beti, Main basse sur le Cameroun, Éditions des peuples noirs, 1984.

- Stéphane Prévitali, Je me souviens de Ruben, Éditions Khartala, 1999.

- Gaston Donnat, Afin que nul n’oublie, Itinéraire d’un anticolonialiste, L’Harmattan, 1986.

- Daniel Abwa, André-Marie Mbida, Premier Ministre Camerounais, L’Harmattan, 1993.

- Achille Mbembe, Naissance du maquis dans le Sud-Cameroun, Éditions Khartala, 1966.

- François-Xavier Verschave, La Françafrique, Stock, 1998.

- Richard A. Joseph, Le mouvement nationaliste au Cameroun, Les origines sociales de l’UPC, Karthala, 1986