dimanche 9 septembre 2007

Um Nyobè Ruben, Précurseur des Indépendances Africaines avait prévenu

Leader nationaliste précurseur des indépendances en Afrique francophone, Ruben Um Nyobè avait dès la fin des années 1940, formulé au sein du parti dont il était le fondateur, la mythique «Union des Populations du Cameroun», UPC, une plateforme de revendications fortes parmi lesquelles figuraient l’impératif de l’union nationale, l’indépendance et la déconnexion d’avec le colonialisme français. En sus de la formidable vision émancipatrice qu’il développa avec méthode et passion, il mit explicitement en garde les politiques de son temps contre les dangers du tribalisme… Avertissement qui resta lettre morte, y compris dans les rangs de ses continuateurs.

L’homme que les troupes françaises assassinent le 13 septembre 1958 succombe à la barbarie coloniale et à l’impossibilité pour celle-ci d’entreprendre, de supporter une vision du monde et un rapport à la colonie marqué du sceau de l’égalité. Um Nyobè qui avait fondé l’UPC en 1948, avait commencé à écrire l’histoire de l’émancipation des peuples africains, en exigeant en 1949 lors de la visite d’une mission de l’ONU au Cameroun, la fin du régime de tutelle française et la fixation d’un délai pour des indépendances démocratiques.



Cette précocité est digne du plus grand intérêt car il apparaît aujourd’hui que le secrétaire général de l’UPC devançait de plusieurs années les leaders indépendantistes d’Afrique francophone qui ne reprendraient des revendications proprement indépendantistes qu’à la fin des années cinquante. Pas tous d’ailleurs, un certain Senghor irait jusqu’à affirmer que les Africains ne voulaient pas l’indépendance mais l’interdépendance dans le cadre de l’Eurafrique [Europe-Afrique ???] … Le même Sédar Senghor porta témoignage à l’ONU de l’absence de discriminations raciales dans le territoire du Cameroun et notamment au sein des instances judiciaires où autochtones et français étaient, soutint-il, équitablement représentés, trompant à dessein ses auditeurs des Nations Unies.

Entre 1952 et 1954, le leader indépendantiste fit trois interventions à l’ONU pour y expliquer la situation du Kamerun et les revendications nationalistes, tout en continuant une inlassable œuvre d’éducation politique des masses, de correspondances internes et externes au parti qu’il dirigeait, privilégiant la conquête pacifique du pouvoir par des élections démocratiques, les vertus du dialogue et du combat politique.


Mongo Beti, Remember Ruben, Éditions Le Serpent à plumes


En 1955 le gouverneur colonial Roland Pré inaugure un cycle de mise au pas des insoumis d’une brutalité sans limite. Il accentue la politique répressive et sanglante de la France générant des manifestations suivies des pires violences de l’autorité coloniale. Les dirigeants de l’UPC entrent en clandestinité, Félix Moumié, Ernest Ouandié et Abel Kingué regagnent le Cameroun sous tutelle britannique d’où ils seront déportés à Khartoum au Soudan, Um Nyobè se replie quand à lui dans son village à Bumnyébel. C’est la période dite du Maquis, de nombreux paysans entrent en clandestinité, le travail politique d’explication, de formation et de pédagogie de Um Nyobè continue cependant.

Le 13 juillet 1957, Um Nyobè écrit une lettre mémorable au premier ministre André-Marie M’bida, depuis son Maquis, cette lettre anticipe avec une vision prophétique sur les dangers de la manipulation politicienne de l’ethnicité par les forces en confrontation politique :

« Le tribalisme est l’un des champs les plus fertiles des oppositions africaines. Nous ne sommes pas des « détribaliseurs », comme d’aucuns le prétendent. Nous reconnaissons la valeur historique des ethnies de notre peuple. C’est la source même d’où jaillira la modernisation de la culture nationale. Mais nous n’avons pas le droit de nous servir de l’existence des ethnies comme moyens de luttes politiques ou de conflits de personnes.

Nous sommes des hommes politiques camerounais. A des degrés divers nous assumons des responsabilités devant l’histoire de notre peuple. Dans le grand bouillonnement que cela provoque, nous décelons nos insuffisances et nos capacités. Nous puisons alors à la source des peuples qui nous ont précédés, et dans le passé de notre propre peuple, pour fixer notre propre ligne de conduite et ce, avec le concours et la succession des événements. Une telle situation nous impose comme condition première de rompre avec un tribalisme périmé et un régionalisme rétrograde qui, à l’heure actuelle comme dans l’avenir, représentent un réel danger pour la promotion et l’épanouissement de cette nation camerounaise. »

Um Nyobè, appelé affectueusement «Mpodol», prophète ou porte-parole, en langue bassa, génie de la vision politique qui avait entrevu l’horizon des indépendances avec une décennie d’avance sur ses contemporains, surdoué de la méthode et de l’organisation, reconnu pour son honnêteté même par ses ennemis, lègue dans cet écrit « sous Maquis » un testament précieux. S’attaquant à l’épineuse question du tribalisme et du régionalisme politique au Cameroun, le Mpodol livre une réflexion politique majeure, valable sur l’étendue du contexte africain, encore aussi actuelle un demi siècle après son énonciation que dans les années 50.

Le secrétaire général de l’UPC identifie dans le tribalisme un terrain fertile, un fonds de commerce des oppositions, largement vérifié dans l’éclosion des mouvements de démocratisation des années 90, et un danger pour la construction des nations africaines. La résurgence des tensions interethniques à fondements politiques ou économiques s’alimente du tribalisme, des clientèles ethno-régionales dans tous les grands conflits et génocides africains contemporains. Quand le phénomène ethnique n’est pas à la base des conflits de partage de ressources économiques et de pouvoir, il fournit du moins un outil d’instrumentalisation relativement aisée, offrant de mobiliser et manipuler des factions à des fins de crapuleries politiques. Il serait difficile de contester l’acuité du Mpodol sur ce point névralgique du pouvoir africain.

La lettre à André-Marie M’bida, adversaire politique, opposé à l’indépendance et premier ministre, à un an de son assassinat, traqué et terré dans son Maquis des environs de Bumnyébel, traduit la hauteur politique d’un leader à dimension réellement nationale, déterminé à la confrontation politique dans toute sa grandeur et son exemplarité. Elle témoigne d’une réflexion aiguë et bien avancée sur les rapports entre culture nationale transethnique et enracinement local. La culture nationale à construire ne saurait ici vassaliser ou faire table raz des réalités tribales, elle devrait en être une sublimation, y prenant appui comme sur une racine. Une grande sagesse d’action semble guider Um Nyobè qui s’en remet aux expériences passées non pour les reproduire de façon stérile, mais pour en faire des points de repères permettant de fixer une conduite en fonction des réalités vécues, de la succession des événements. L’action qui invente l’avenir se réfléchit donc à partir d’une utilisation du présent et du passé, d’une transaction entre des idées et les forces du terrain, produisant un modus opérandi fonctionnel et dynamique.

La pensée puissante de Um Nyobè, injustement oubliée de la grande histoire des luttes de libération est et demeure d’une rare fécondité, tant le leader de l’UPC aura laissé d’écrits, de traces nationales et internationales, gravant dans l’histoire, la passion d’un homme pour sa patrie et sa capacité visionnaire à anticiper les étapes ultérieures de la réalité politique africaine. Qu’il s’agisse de l’indépendance, du tribalisme, ou de la viabilité des structures politiques, de la pédagogie et de l’éducation des militants et des citoyens, la contribution du Mpodol, mort pour sa patrie, reste entière à redécouvrir.

Akam Akamayong 14/09/2004

jeudi 6 septembre 2007

MASSACRES AU CAMEROUN, NOUVELLE « VERSION »



La revue « L’Histoire » , dans son numéro 318 de mars 2007, se propose de tirer de l’oubli quelques massacres oubliés de la Colonisation. Parmi tant d’autres, elle « braque » ses projecteurs sur les massacres de Sétif en 1945, de Madagascar en 1947 et du Cameroun, en 1955.

« Belle initiative », me suis-je dit, quand j’ai vu ce numéro chez mon marchand de journaux. Ce n’est pas tous les jours que ces thèmes trouvent place dans la grande presse, même spécialisée. Je me suis dépêché de l’acheter, désireux d’en savoir un peu plus sur ces pages occultées de l’histoire.

Mon enthousiasme n’a été que de courte durée, car ce que j’ai eu sous les yeux m’a pratiquement laissé sur le tapis. Ne pouvant pas consacrer ce post à tout le « dossier », je me suis limité à considérer les Massacres du Cameroun de 1955, sujet qui, des trois éléments du « dossier », m’était le moins inconnu.

Afin de mieux faire ressortir les errements de la plume du « spécialiste de l’histoire coloniale » qu’est Marc Michel – l’auteur du « dossier » sur les massacres du Cameroun – j’ai choisi de mélanger et de « croiser » deux versions des faits : celle du « dossier » de L’Histoire, et celle d’autres sources.

Après une présentation sommaire du contexte politique de l’époque, notre « spécialiste » nous apprend que l’UPC, le parti nationaliste camerounais, passe à la « dissidence, en déclenchant des émeutes dans les principales villes du Cameroun », principalement à Yaoundé et à Douala. S’ensuivent des « heurts » qui « opposent violemment les forces de l’ordre, police et gendarmerie, aux milices du parti ». Les troubles gagnent la brousse et, cette fois, on dénombre plusieurs dizaines de victimes. Le 13 juillet 1955, « le gouverneur Roland Pré fait donc interdire l’UPC et ses organisations ».

L’auteur nous explique ensuite que « face à cette force nationaliste montante, une ´alliance objective´ [1] se noue alors entre l’administration française, l’Eglise catholique (qui dénonce les violences et l’idéologie communiste du parti), les éléments modérés de la société camerounaise et les grands chefs coutumiers ». Et puis, « l’évolution de la position de France » prive l’UPC de ses deux mots d’ordre les plus populaires : l’indépendance et la réunification des deux Cameroun. Entre-temps, Um Nyobé est tué dans le maquis en 1958. Le conflit dégénère : « à partir de 1959, la lutte anticoloniale se double d’une ´guerre civile´ [2] qui ensanglantera le pays tout au long des années 1960 ». Ahidjo prend le relais de la France, « dans la lutte contre l’UPC » qui tombera vite « dans le terrorisme » avant d’être finalement « vaincue ».
Voilà donc, grosso modo, sous la plume d’un « spécialiste de l’histoire coloniale », le récit de la « Guerre oubliée du Cameroun ».


Mais que disent d’autres sources, à propos de ces événements ? Pas très difficile de le savoir, puisqu’une « couverture médiatique » leur a été accordée en son temps puisque des « travaux d’historiens » leur ont été consacrés.
D’abord, quelques faits. Le parti de Um Nyobé ne s’appelle pas l’Union des populations camerounaises, comme le dit à répétition le « dossier », mais bien Union des Populations du Cameroun.

Ensuite, l’accusation qui est faite à l’UPC d’avoir déclenché les émeutes. Voici le témoignage d’un autre historien : « Le mémorandum du gouvernement français attribuera plus tard, à tort, l’ensemble des responsabilités à l’UPC » [3]. Rappelons que 85 mandats d’arrêts sont délivrés, dont un pour…Um Nyobé, qui réside, depuis plusieurs semaines déjà, dans sa région natale, loin du théâtre des opérations. Plus curieux encore : quand les émeutes sont déclenchées, Um Nyobé est en train de…« mener une campagne en faveur de l’organisation d’un référendum dans le pays » [4].

Encore des faits : tout le monde sait que l’UPC n’était pas un parti communiste, ni marxiste, ni même marxisant. Il est clair que l’accusation de « communisme » permet à tout le monde – l’Eglise et l’administration coloniale, notamment – de justifier la répression féroce. L’UPC n’a jamais eu d’idéologie politique au sens propre. Cela n’empêche pas que ses membres, tout comme ses dirigeants, aient eu des « affinités », des « sympathies » tantôt socialistes, tantôt marxistes, tantôt communistes, tantôt religieuses, etc. En fait, pour le parti de Um Nyobé, la seule chose qui compte, c’est l’Indépendance, qui « passe avant le pain journalier », comme il le disait lui-même. Pour cela, peut importe la chapelle à laquelle on appartient, du moment que le but est de l’atteindre, immédiatement et sans conditions.

L’auteur du « dossier » nous dit aussi quelque chose de curieux : « certains parlent du massacre de 300000 à 400000 personnes… Une estimation d’autant plus fantaisiste qu’elle excède le chiffre total des habitants du pays bamiléké, principal théâtre du conflit ». Lors d’un discours dans le fief de Um Nyobé en 1956, le premier ministre de l’époque, André-Marie Mbida, parle des « 460000 habitants de la région Bamiléké » [5]. Quand on sait que «dès les premiers mois de 1965, cinq bataillons ratissent la forêt du Sanaga et répriment brutalement les rebelles » (Roger Faligot et Pascal Krop [6]) quand on sait que « 156 petits villages du pays Bassa, en 1960-1961, avaient été rasés » parce que soupçonnés d’abriter des upécistes (Van de Lanoitte [7]) quand on sait que « entre Douala et Bafoussam, près de 400000 Bamiléké sont en dissidence » (Georges Chaffard [8]), etc. , on comprend mieux les propos d’un témoin célèbre : Max Bardet. Pilote d’hélicoptère, il était présent au Cameroun entre 1962 et 1964. Il témoigne : « En deux ans, l’armée régulière a pris le pays bamiléké du sud jusqu’au nord et l’a complètement ravagé. Ils ont massacré de 300000 à 400000 personnes. ´Un vrai génocide. Ils ont pratiquement anéanti la race´ » [9].

Le témoignage de Bardet est impressionnant. Il ajoute : « A la fin de la guerre, j’ai fait une prospection d’un mois avec un administrateur général (…). Il était indigné. Ce n’est pas possible, tous ces villages morts, où sont les habitants ? ´Les villages avaient été rasés, un peu comme avec Attila´ » [10].

Le bilan de la guerre est-il « évidemment très exagéré », comme l’affirme l’auteur du « dossier » ? L’estimation de 300000 à 400000 est-elle « d’autant plus fantaisiste qu’elle excède le chiffre total des habitants du pays Bamiléké, principal théâtre du conflit » ? A chacun de voir.


L’auteur du « dossier », quant à lui, estime que « plus vraisemblablement, la guerre a fait plusieurs dizaines de milliers de morts, principalement des victimes de la ´guerre civile´, après l’indépendance » [11].

Tiens ! On avait oublié qu’il y avait aussi une guerre civile là-bas ! Et comme tout le monde sait, les guerres civiles, là-bas, font toujours des milliers de victimes. Morale : pas tant de victimes que ça ! Et puis, c’est le fait de la guerre civile, pas de l’action coloniale, voyons !

Un véritable chef-d’oeuvre, ce « dossier » sur les Massacres du Cameroun. Pas facile, en effet, de parler de guerre, sans mentionner un seul instant les lance-flammes, les bombardements au napalm, les ratissages, les avions, les villages rasés, etc. Il y en a qui réussissent à préparer des pizzas sans farine...

Inutile, à ce stade, de revenir sur des expressions telles que « Ruben Um Nyobé retire l’UPC du jeu normal des élections », « Alors que la France est empêtrée dans la guerre d’Algérie, avec le Cameroun, elle triomphe sur la scène internationale ».
Par contre, il est important de voir les leçons que notre « spécialiste » tire des événements sanglants de cette période.

L’auteur du « dossier » pense que cette guerre « a contribué à fonder un Etat ´solide´ et à ´souder´ la population malgré son hétérogénéité aussi bien ethnique que politique » [12]. Une guerre civile qui fonde un Etat solide et qui soude une population : de nouvelles pistes à explorer pour sociologues, anthropologues et autres. Ultime prouesse du « dossier » : mêler Mongo Beti à cette sauce fétide, lui qui, toute son œuvre durant, n’a eu de cesse de dénoncer les colons français, ceux d’hier et d’aujourd’hui. Il se retournerait dans sa tombe, l’auteur de Main basse sur le Cameroun.

Conclusion épique du « dossier » : « En définitive, cette guerre a été oubliée parce qu’elle avait été gagnée à peu de frais – les principaux combats ayant été livrés par le ´régime indépendant´ héritier » [13].

Il a raison, Marc Michel. Quelques fusils, peu de munitions, quelques blindés, c’est effectivement « peu de frais », quand on voit les résultats obtenus : un territoire pacifié, une rébellion anéantie, des populations terrorisées et traumatisées.
Il a raison sur un autre point. Les principaux combats ont été « livrés par le régime indépendant héritier ». Paris et la France n’ont rien à y voir. Le colonel Noiré, « conseiller direct du président Ahidjo » (Pascal Krops), n’a rien à y voir. Le capitaine Leroy, « responsable des troupes de choc de l’armée camerounaise (…) qui dirige en direct la guerre bamilékée » (Pascal Krops), n’a rien à y voir. Le capitaine Agostini, officier de renseignement, chef du commando qui tua Um Nyobé dans la forêt, n’y est pour rien. Le lieutenant-colonel Lamberton, commandant des troupes du Sud-cameroun, et Daniel Doustin, délégué du Haut-commissaire Jean Ramadier, tous patrons d’Agostini, n’y sont pour rien. Michel Débré, premier ministre français, n’y est pour rien. Ainsi de suite ! Voilà comment on écrit l’Histoire en 2007.

Si ce ne sont pas des histoires qu’on nous raconte là…

Marcel-Duclos Efoudebe

P.S. Dans son témoignage, Max Bardet ajoute, à propos des événements sanglants du Cameroun : « la presse n’en a pas parlé ». Malgré la « couverture médiatique » dont parle le « dossier ». Il était probablement distrait, Max…

[1] C´est moi qui souligne.
[2] Idem.
[3] Le témoignage est d´Achille Mbembe dans la présentation du livre Le problème national kamerunais de Um Nyobe, L´Harmattan, Paris, 1984. C´est moi qui souligne.
[4] Achille Mbembe, op. cit., page

[5] Cité par Achille Mbembe, op. cit., page
[6] Lire La piscine de Roger Faligot et Pascal Krops, Éditions du Seuil, Paris, 1985, page 238.
[7] Cité par Mongo Beti dans Main basse sur le Cameroun, Éditions des peuples noirs, Rouen, 1984, page 96.
[8] Cité par Mongo Beti, op. cit., page 84.
[9] C´est moi qui souligne.
[10] C´est moi qui souligne. Qui ne connaît pas le terrible roi des Huns qui « ravagea la Gaulle et pilla l´Italie » (Larousse 2004) ? Le témoignage de Max Bardet est cité par Pascal Krops dans Les secrets de l´espionnage français, Payot & Rivages, Paris, 1995, page 510.
[11] C´est moi qui souligne.
[12] C´est moi qui souligne.
[13] Idem.

mardi 4 septembre 2007

AUDIO : INTERVENTION DE UM NYOBÈ À L'ONU

Partie 1:


Partie 1:






Partie 2:


Partie 3:


Partie 4:


Partie 5:

PHOTOS DE MPODOL







L'indépendance racontée à ma fille



Céline, après que le Haut-commissariat, pendant la décennie de débâcle politique, sociale et morale qui a précédé l’indépendance falsifiée de 1960, eût médité de sinistres desseins contre le Cameroun et son peuple, les colons fourbes et fébriles ont remis le pouvoir apparent à Ahmadou Babatoura Ahidjo, avec le commandement impératif qu’il tînt le peuple dans une crainte durable et n’essayât par aucun moyen de s’échapper de sa cage. Les égards qui lui furent ensuite montrés le propulsèrent comme une fusée dans le cercle très restreint des Présidents de la République à responsabilité limitée. Ce 1er janvier 1960, toute l’Afrique dite francophone, radieuse et passionnée, avait bêlé comme une seule chèvre à l’annonce du jour nouveau, mais ce n’était que vers la fin du mois festif qu’elle s’aperçût que toute cette bamboula orchestrée depuis Paris procédait d’une énorme supercherie. La chèvre pouvait gambader, il est vrai, mais c’était l’enclos que l’on avait agrandi. Elle allait quand même être au sacrifice ! Les ministres de la propagande, véritable Kontchou avant la lettre, débagoulant des sottises par ventrées, voulurent donner le change en inventant une nouvelle « sagesse africaine », celle du Père de la Nation, ignorant qu’un principe de légitimité, aussi simple qu’il puisse paraître, ne procède ni d’une mystification, ni d’une plaisanterie, mais bien de la seule volonté du peuple. Ces hommes se sont vite rendus compte qu’il n’était pas facile de faire périr entièrement un homme. Il aurait fallu, au surplus, assassiner tous ceux qui ont été ses contemporains, tous ceux qui l’on vu et entendu parler, assassiner le Cameroun entier ! Je parle de Ruben Um Nyobe.

Déjà, en 1964, s’adressant aux populations de Ndikiniméki, Ahmadou Babatoura Ahidjo prétendait que l’indépendance réclamée par les chefs nationalistes était une indépendance du « ôte-toi de là que je m’y mette », et plus tard, dans sa foulée, Paul Biya affirmait, à l’exorde d’une élection pipée, que l’Opposition voulait « sa » place. « Non Monsieur Biya, nous ne voulons pas votre place, nous voulons la faire disparaître », voilà la réponse que désormais tu lui feras, Céline. Cette place est celle du colon, elle doit demeurer sienne et avec lui là où il se trouve désormais. Depuis Hannah Arendt, tu sais qu’on ne peut faire place à une action nouvelle qu’à partir du déplacement ou de la destruction de l’état de chose existant. La bourgeoisie décadente et réactionnaire au pouvoir depuis 1958 « doit » disparaître, celle-là qui ne voit dans les problèmes brûlants du Cameroun qu’une question de lutte à mort pour conquérir et défendre des places. Qu’était donc « la place » d’Ahmadou Babatoura Ahidjo avant que le Docteur Aujoulat, personnage obscur aux mœurs extrêmement déréglées, n’entreprenne à sa manière son initiation politique ? Et celle de Paul Biya ? Il faut savoir que cette république, si elle existe, n’est pas l’expression de la volonté du peuple, mais celle du colon toujours perpétuée. Tu dois dénoncer ce système malfaisant et antipopulaire. Tu dois le combattre, toujours. Il faut que tu rompes avec lui et que tu brandisses le couteau sanglant, que tout le monde voie ! Car il n’est pas d’héritier, écrivait un penseur, il n’est pas d’héritier, même prodigue ou nonchalant, qui ne porte un jour les yeux sur les registres de son père pour voir s’il jouit de tous les droits de sa succession et si l’on n’a rien entrepris contre lui ou contre son prédécesseur. Tu ne dois plus faire un pas dans ces ténèbres. La France, par le colonialisme, et sa valetaille, par le néocolonialisme, n’a jamais eu le droit de gouverner à ta destinée, et le fait même de ce gouvernement a toujours été et est encore parfaitement illégitime. Le grand parti du colonialisme et du néo-colonialisme a cru vaincre tes aspirations en assassinant les chefs intrépides et lucides de l’Union des Populations du Cameroun. Il a cru qu’en liquidant ces hommes extraordinaires il pouvait liquider leurs idées, leurs qualités, leur exemple. Et cette bourgeoisie compradore, moutonnière et parasitaire installée à la place du colon n’a jamais été contre la domination colonialiste, mais c’est toujours illustrée contre le peuple. Aujourd’hui, elle veut faire croire que l’ambition politique au Cameroun consiste à pénétrer cette classe minoritaire de privilégiés qui n’ajoute rien à la richesse nationale mais pille et accumule des capitaux malhonnêtes dans des banques hors du pays.

L’homme qu’elle porte au pouvoir ne s’enorgueillit pas de la tâche à accomplir, du service à rendre aux populations, mais des perspectives infinies d’enrichissement personnel que lui ouvre sa nouvelle position. Dernièrement introduit dans l’une des officines obscures où baignent cette bourgeoisie malfaisante et rétrograde, puissants laboratoires où l’on fabrique des « hauts dignitaires » de toutes pièces, cet homme, l’œil percé d’un rayonnement cristallin, élèvera bientôt la grivèlerie à la hauteur d’un art et se verra confier, à la grande stupéfaction du peuple innocent, des portefeuilles toujours plus consistants.

Et l’on ne trouvera d’ailleurs pas cela étrange, puisque l’on considère dans ces milieux nébuleux que les activités feintes n’égalent jamais les réelles. Céline, ma fille, sache que si l’on additionne toutes les plaintes, les récriminations, et les attentes du peuple camerounais, formulées par des hommes et des femmes venant de tous les milieux, le total équivaut à demander l’abolition de la république telle qu’elle existe sous sa forme actuelle. En d’autres termes, le résultat de l’addition est bien une révolution. Le mot est lancé. Donner consistance à l’exigence d’un changement radical est un devoir historique et républicain, et se tenir à l’écart de ce devoir ou être un frein à sa réalisation doit être considéré comme un crime majeur. Pour les avoir longuement observé, les révolutions obéissent à certaines lois dont les premières sont la solidarité avec le peuple, la haine intransigeante de l’ennemi du peuple, et le devoir de défendre ce peuple jusqu’à la mort s’il le faut. La réactivation du projet nationaliste, de l’idéal nationaliste, doit revêtir pour toi, ma fille, un caractère impératif. Soit convaincue que la cause révolutionnaire, les idées révolutionnaires, le sentiment révolutionnaire, les objectifs révolutionnaires, sont les seuls outils capables de rompre définitivement avec les démons que le colonialisme a semés dans notre pays, à savoir l’individualisme, l’égoïsme, l’immoralisme et les privilèges.

La réhabilitation de ce projet passe par une conscience politique renouvelée et une reconversion des mentalités. Tu dois demeurer cohérente, dans la vérité, toujours. Tu ne chanteras plus cet hymne national dont le principal défaut semble le manque de clarté, tu ne salueras plus ce drapeau, symbole de l’imposture et du mépris colonialiste, désormais ta devise sera : « Ici, c’est le peuple qui gouverne ». Maintenant, tu dois savoir que toute l’activité des partis politiques en service au Cameroun est une activité de type électoraliste, une somme de mimodrames intellectualistes qui tente de décrire l’existant. Leur objectif n’est pas le renversement radical du système qui t’oppresse, mais de lui dire bien révérencieusement : « Partageons mieux le pouvoir ! ».

Comme le disait Ernesto Guevara Che : « les véritables capacités d’un révolutionnaire se mesurent à son habilité à trouver des tactiques révolutionnaires adéquates pour chaque changement de situation ». Aujourd’hui, la situation au Cameroun n’est plus celle de 1958, c’est pourquoi il est important de faire la lumière autour des possibilités effectives dont le peuple dispose pour se libérer par des moyens novateurs et irréversibles. Mais lutter uniquement, comme le font les partis politiques actuellement en service, pour obtenir la restauration d’une certaine légalité bourgeoise, sans se poser le problème de la révolution, le problème de la prise de pouvoir révolutionnaire, nous prépare, une fois ce pouvoir acquis, à un retour programmé vers ce vieux monde de privilèges et d’iniquité dont la majorité des Camerounais ne veut plus entendre parler. Il ne faut pas avoir peur de la violence dans l’accouchement du monde auquel tu aspires. Mais cette violence, qui est une réponse à une violence encore plus grande, doit également être un appel à la construction. Observe qu’au Cameroun on a trop souvent dit qu’avec le régime actuel « au moins » on avait la paix, que c’est à lui que l’on devait cette paix ! Mais de quelle paix s’agit-il ? Il faut bien qu’on nous le dise. On a la paix aussi dans un cachot ! Toutes les dictatures imposent la même paix nécessaire à l’accomplissement de leurs bassesses.

Est-ce de cette paix misérable dont on parle ? Avec la menace de la guerre, les parvenus du néo-colonialisme exercent un chantage qui passe pour un souci qu’ils se font du sort du Cameroun et des Camerounais. Cela se serait su si semblable préoccupation faisait partie de leur projet. La réponse juste face à de tels discours hypocrites est de ne pas avoir peur de la guerre. Il faut que l’oppresseur, l’usurpateur, entende les cris du peuple, les gémissements du peuple, la colère du peuple, lui qui aime le silence, le nébuleux, le mensonge, il faut qu’il les entende tous les jours, dans son sommeil comme dans son éveil, et qu’il voit errer autour de lui les ombres pâles des hommes, des femmes, et des enfants, vidées du sang dont il s’abreuve. Puis, une fois la nuit tombée, lorsqu’il se rend dans ces lieux secrets où règne l’esprit de Satan, qu’il sente sur sa chair l’attouchement de la mort et qu’il en tremble ! Céline ! Souviens-toi de celui qui, en mourant, a eu une dernière pensée pour toi. Il était triste, mais il avait vaincu. Parce qu’il t’aimait, parce qu’il te voulait grande, heureuse, libre, et indépendante, parce qu’il avait pour toi de nobles desseins, ceux qui te trahissent l’ont jeté dans le cachot des sans-tombe. Ils ont détruit le corps, mais l’âme est immortelle, la vérité vient la libérer ! Son jour approche, il est tout près. Céline ! Souviens-toi que cette nation est une terre bénie, lavée du sang des martyrs. De limpides horizons t’attendent. Une nouvelle époque est à naître. L’avenir appartient au peuple parce que l’avenir apportera la justice. Et lorsque tes ennemis tentent de rendre la possibilité de leur chute très lointaine, lève les yeux vers le ciel et tu verras, éclatants dans la lumière divine, les martyrs qui sourient. Leur sang t’a libéré, tu es déjà victorieuse !

Rédigé par Tom Alexandre Bell. 15.05.2007

MESSMER, Massacres au Cameroun


PIERRE MESSMER, l'autre cauchemar des Africains s'en est allé.


Comme Roland PRÉ, ou Maurice Delaunay, Pierre MESSMER appartient à cette catégorie d'hommes qu'il ne faut jamais avoir rencontrés sur son chemin en tant qu'africain dans ses années de haut commissaire du Cameroun. D'une telle rencontre, on ne sort jamais indemne; les plus chanceux se sont retrouvés avec toute leur famille décimée. Avec sa disparition, c'est aussi un des grands artisans du génocide Camerounais qui tire sa révérence. Génocide que la France n'aura jamais le courage de reconnaître. Politique génocidaire mise en place par De Gaulle dans toute l'Afrique dite "francophone" et dont la mise en application était orchestrée par Roland Pré, Pierre Messmer et bien d'autres lugubres personnages qui entreront dans l'histoire de la France comme de "Grands".


Pierre Messmer restera pour toute une génération d'africains et de Camerounais en particulier, le symbole de la cruauté vivante, celui qui distribuait à tout va la mort à ces Africains qui se refusaient d'obéir aux injonctions lapidaires d'une France en plein exercice de colonisation et prête à châtier quiconque lui résistait comme le faisait remarquer son prédécesseur Roland Pré "Je suis fortement ému parce que le peuple camerounais s’est laissé un instant entrainer par certains trublions que la justice française ne manquera pas de châtier. C’est vraiment choquant d’apprendre que le Cameroun veut obtenir en moins d’un quart de siècle, ce que la France a obtenu en plusieurs siècles, c’est-à-dire l’étape de l’indépendance" .




Celui que l'histoire officielle française présente comme l'un des pères de la "décolonisation" n'en était pas un, mais plutôt un ardent défenseur de l'asservissement des peuples africains. Car il considérait que se défendre de la colonisation était un acte de haute trahison et par conséquent il fallait être impitoyable avec de tels individus.


Comment peut-on être un fidèle de De Gaulle et être pour l'indépendance des peuples en Afrique ? De Gaulle et Indépendance dans le cas de l'Afrique sont deux mots aux antipodes l'un de l'autre. L'indépendance, la décolonisation suppose la liberté de tout peuple à disposer de lui même. Tout le contraire de la politique gaullienne en Afrique et qui poursuit son cours jusqu'à nos jours. Dire que Pierre Messmer a préparé la décolonisation donc l'indépendance des pays africains est, comme vous l'aurez compris, un vaste exercice de démagogie donc un mensonge républicain. Être gaulliste à l'aune de l'Afrique, c'est être pour le pillage des matières premières et autres richesses et évincer celles ou ceux qui s'opposent à cet état des choses par n'importe quel moyen. La jeunesse africaine doit plutôt retenir de cet homme qu'il a contribué à la destructuration des équilibres de leur continent et qu'il est important de garder en esprit que ''la France n'a pas d'amis, elle n'a que des intérêts" comme le disait De Gaulle, le fondateur de l'idéologie néocolonialiste qui sévit en Afrique et dont les conséquences sont décrites dans "Les servitudes du pacte colonial" de Mamadou Koulibaly.

Rédigé par Anton G.

Comment Messmer a massacré les Camerounais

La mort de cet homme est presque passée inaperçue au Cameroun. Alors que le pays vit encore aujourd’hui les séquelles des horreurs commis pendant qu’il était à la tête du Cameroun sous tutelle de la France.

En 1956, Pierre Messmer foule le sol camerounais, comme haut-commissaire de la France. On est en pleine période de lutte pour l’indépendance. Celle-ci est principalement menée au pays par l’Union des populations du Cameroun (Upc), parti politique de l’opposition dont Ruben Um Nyobé est le secrétaire général. La formation est désormais sous maquis. Ses leaders, contraints à l’exil pour la majorité, poursuivent la lutte alors que le parti a été interdit un an plus tôt (1955) par le prédécesseur de Messmer, Roland Pré.

Sous une double tutelle (française dans partie orientale et anglaise dans la partie occidentale), le pays de Martin Paul Samba connaît une grande agitation. Les revendications, formulées par l’Upc avant son interdiction, sont plus que vivaces dans l’esprit des nationalistes. Les deux premières sont : l’indépendance immédiate et la réunification des deux parties du territoire. C’est, en tout cas, ce qui a été défendu à la tribune des Nations unies par les plénipotentiaires de l’Upc dont Félix Roland Moumié, le président du parti.

Quand Pierre Messmer arrive donc, il a pour mission de mâter toute velléité de contestation. Il doit surtout extirper la fibre nationaliste que l’Upc et les mouvements syndicaux travaillent à susciter au sein du peuple depuis une dizaine d’années. Pour la France, pas question que l’indépendance apparaisse comme le fruit d’une revendication nationaliste. “ Nos ancêtres les Gaullois ” estiment qu’elle doit être considérée comme “ donnée ” par la seule volonté de la France. Messmer va employer toute son énergie à consolider les acquis de la “ mère patrie ” au Cameroun pour qu’au moment de l’indépendance, le pays soit confié aux gens avec qui la métropole aura composé.

Bourreau des nationalistes

Frank Garbely, auteur du documentaire “ L’assassinat de Félix Moumié ”, déclare dans ses commentaires, que Messmer transforme la plus grande victoire de Moumié, en une défaite cinglante. “ Son arrivée est une journée noire pour Moumié ”, affirme-t-il. Dans ce film, Messmer, interrogé dans les bureaux de l’Institut de France dont fait partie l’Académie française, affirme d’entrée de jeu son inimitié pour les nationalistes camerounais.

Parlant de Moumié, il déclare : “ Lui n’était intéressé que par le combat pour le pouvoir, il n’accepte aucune élection. ” Il explique de quelle façon, dès son arrivée, il prend à contre pied les nationalistes camerounais, en leur accordant la contrefaçon de ce qu’ils réclament, à savoir l’indépendance. “ J’ai tout de suite dit que la France acceptait l’indépendance du Cameroun, et la réunification du Cameroun français au Cameroun britannique. Une chose que personne n’avait osé dire avant, parce que cela ne faisait pas plaisir aux Anglais. J’étais le premier à oser le dire, et à partir de ce moment-là, l’Upc se trouve dans une situation extrêmement difficile, parce que c’était sa revendication. ”

Les leaders de l’Upc ne veulent pas de cette indépendance piégée. Pierre Messmer prend très mal cette réticence et les considèrent comme des ennemis. “ A partir de ce moment-là, l’Upc est obligé, ou bien de rentrer dans le système, parce qu’il doit y avoir des élections, ou bien alors, comme ils le décident, de rester dans la rébellion. Mais à partir de ce moment là, ça prouve que ce n’est pas un parti indépendantiste, mais un parti révolutionnaire ”, dit-il.

Les leaders de l’Upc sont désormais dans l’axe du mal et traité comme tels. Il n’est pas question de laisser la situation s’embraser au Cameroun, car une révolution réussie ici pourrait donner des idées aux autres pays du pré carré français. Dans un document secret, publié dans le documentaire de Frank Garbely, cette volonté est clairement affichée : “ La position de la France au Cameroun conditionne la position de la France dans toute l’Afrique centrale ”, indique le document.

L’Upc organise une manifestation à Massock, dans la Sanaga Maritime. L’armée française intervient énergiquement. Le bilan est effroyable, selon un témoin qui relève des viols, des tueries et des déportations. Pierre Messmer justifie l’intervention de l’armée française : “ En effet des unités de simple gendarmerie ne pouvaient pas combattre effectivement une rébellion, surtout dans ce pays de la Sanaga Maritime qui est un pays de grande forêt, en pleine forêt équatoriale. J’ai à ce moment là demandé l’intervention de l’armée. On a dirigé sur le Cameroun des unités africaines, d’ailleurs venues du Tchad. La mission de ces unités était de faire disparaître le maquis, et ils y sont arrivés d’ailleurs. ”

Après avoir exterminé la population, il faut maintenant attaquer le mal à la racine. Les colons entreprennent donc de dessoucher le parti. La recherche des leaders est plus active. Pour les coincer, les colons obligent les villageois à se regrouper dans des camps, question d’isoler les leaders. “ Um Nyobé et ses complices, qui n’étaient pas très nombreux, et qui vivaient dans ce maquis, étaient un petit peu dans le pays Bassa comme des poissons dans l’eau…L’armée s’est efforcé de pomper l’eau, pour que les poissons soient au sec. C’est-à-dire que l’armée s’est efforcée de ramener vers les grandes routes qu’elle contrôlait, des petits villages qui étaient à l’intérieur de la forêt ”, affirme Messmer.

Il est évident que l’armée française ne suppliait pas les villageois pour qu’ils rejoignent les camps, comme le témoigne dans la documentaire André Nguimbous, agriculteur dans la région : “ Pour vous obliger à venir habiter ici, on brûlait même votre maison. Et surtout dans la nuit, on vous faisait embarquer dans les camions pour venir vous laisser ici. ”

Le travail à partir de Paris

Messmer, après ces loyaux services rendus à sa patrie, est récompensé en 1960 (année de l’indépendance du Cameroun sous tutelle française), quand il est nommé ministre des Forces armées à Paris. Il occupe ce poste pendant neuf ans. Un record de longévité expliqué par la situation particulièrement délicate que devait gérer la France à l’époque : administrer les colonies qui manifestent les velléités d’indépendance. Et pour mieux contrôler cette situation, il fallait un “ homme de la situation ”, comme Messmer.

Désormais, c’est depuis la métropole qu’il sévit sur les rebelles africains, ou, pour parler comme eux, c’est de là qu’il “ prépare ” l’indépendance des colonies françaises d’Afrique. De cette position, il “ suivra ” également l’évolution de ces colonies après 1960, années des indépendances. Il tisse à partir de là un réseau plus large pour traquer les leaders nationalistes même hors de leurs frontières. Au Cameroun en particulier, sont installées des marionnettes locales, téléguidées à distance pour faire le sale boulot commencé plus tôt.

En 1966, Maurice Delaunay est nommé à la tête de la région Bamiléké, à Dschang, avec pour mission de briser l’Upc et réduire la résistance à néant. Ce dernier fait son travail avec méthode, et suivant les instructions de sa hiérarchie. “ Une tuerie en masse ”, témoigne Sa majesté Jean Rameau Sokoudjou, chef supérieur Bamendjou. Ce dernier a été assigné à résidence surveillé dans son propre palais pendant deux ans, pendant que d’autres chefs traditionnels bamiléké hostiles à la colonisation étaient martyrisés, envoyés en prison ou simplement remplacés. Delaunay avoue avoir fait un camp dans les montagnes, au dessus de Bafoussam, où il y avait 800 personnes gardées pas des soldats français et camerounais restés fidèles.

A Batcham, un camp militaire est aussi installé. C’est de là que sont dirigés les bombardements aériens. Ici aussi, comme en Sanaga Maritime, on a forcé les populations à se regrouper dans les camps. Tous ceux qui ne viennent pas ici sont considérés comme faisant partie des maquisards, à éliminer. De l’autre côté, ceux qui ont refusé d’aller dans les camps considèrent ceux qui y sont comme des traîtres. La population est désormais liguée contre elle-même. Une situation que le colon ne pouvait que souhaiter.

Dans toute la région, les tueries succèdent. Jacques Verges, un avocat français, pense même que du Napalm, une arme de destruction massive, a été utilisée sur des populations civiles, que les prisons étaient des mouroirs, où des gens étaient torturés, tués. Une fois de plus, Messmer justifie ce déploiement impitoyable de l’armé sur ces zones du pays : “ L’Upc était un parti communiste, dirigé par des chefs communistes impitoyables. Um Nyobé, et surtout Moumié, étaient des gens impitoyables. Alors quand vous êtes impitoyables, vos adversaires ne vous font pas de pitié non plus, ils ne vous font pas de cadeau. ”

La malédiction Messmer

Impitoyable, Messmer, du haut de son ministère des Forces armées l’aura été. Les leaders nationalistes camerounais, pour ne parler que d’eux, sont victimes d’attentats. Ruben Um Nyobé, le secrétaire général de l’Upc, est assassiné le 13 septembre 1958 dans la forêt de Boumnyebel en pays Bassa. Félix Roland Moumié, le président, est empoisonné au thallium à Genève en Suisse le 3 novembre 1960. Ossendé Afana est fini en mars 1966. Ernest Ouandié, le dernier verrou, est fusillé à Bafoussam en janvier 1971. “ Il semble peu douteux que Moumié a été effectivement exécuté. A mon avis, la France s’en moquait éperdument. Cela arrangeait surtout le nouveau président, monsieur Ahidjo ”, déclare pour finir, Messmer. Messmer présente ces “ bons ” résultats à ses chefs, et comme récompense pour travail bien fait, il accède à la Primature française, à Matignon, en 1972.

Voilà l’image que les Camerounais, qui n’ont pas la mémoire courte, gardent de cet homme qui a rendu l’âme le 29 août 2007. Aujourd’hui encore, ils continuent de subir le régime néocolonialiste imposé par lui qui, dans sa “ préparation ” des indépendances, a tout fait pour que la main lourde du colon continue de peser sur la population. Fatalement.

Par Roland TSAPI, Le Messager. 03-09-2007