jeudi 6 septembre 2007

MASSACRES AU CAMEROUN, NOUVELLE « VERSION »



La revue « L’Histoire » , dans son numéro 318 de mars 2007, se propose de tirer de l’oubli quelques massacres oubliés de la Colonisation. Parmi tant d’autres, elle « braque » ses projecteurs sur les massacres de Sétif en 1945, de Madagascar en 1947 et du Cameroun, en 1955.

« Belle initiative », me suis-je dit, quand j’ai vu ce numéro chez mon marchand de journaux. Ce n’est pas tous les jours que ces thèmes trouvent place dans la grande presse, même spécialisée. Je me suis dépêché de l’acheter, désireux d’en savoir un peu plus sur ces pages occultées de l’histoire.

Mon enthousiasme n’a été que de courte durée, car ce que j’ai eu sous les yeux m’a pratiquement laissé sur le tapis. Ne pouvant pas consacrer ce post à tout le « dossier », je me suis limité à considérer les Massacres du Cameroun de 1955, sujet qui, des trois éléments du « dossier », m’était le moins inconnu.

Afin de mieux faire ressortir les errements de la plume du « spécialiste de l’histoire coloniale » qu’est Marc Michel – l’auteur du « dossier » sur les massacres du Cameroun – j’ai choisi de mélanger et de « croiser » deux versions des faits : celle du « dossier » de L’Histoire, et celle d’autres sources.

Après une présentation sommaire du contexte politique de l’époque, notre « spécialiste » nous apprend que l’UPC, le parti nationaliste camerounais, passe à la « dissidence, en déclenchant des émeutes dans les principales villes du Cameroun », principalement à Yaoundé et à Douala. S’ensuivent des « heurts » qui « opposent violemment les forces de l’ordre, police et gendarmerie, aux milices du parti ». Les troubles gagnent la brousse et, cette fois, on dénombre plusieurs dizaines de victimes. Le 13 juillet 1955, « le gouverneur Roland Pré fait donc interdire l’UPC et ses organisations ».

L’auteur nous explique ensuite que « face à cette force nationaliste montante, une ´alliance objective´ [1] se noue alors entre l’administration française, l’Eglise catholique (qui dénonce les violences et l’idéologie communiste du parti), les éléments modérés de la société camerounaise et les grands chefs coutumiers ». Et puis, « l’évolution de la position de France » prive l’UPC de ses deux mots d’ordre les plus populaires : l’indépendance et la réunification des deux Cameroun. Entre-temps, Um Nyobé est tué dans le maquis en 1958. Le conflit dégénère : « à partir de 1959, la lutte anticoloniale se double d’une ´guerre civile´ [2] qui ensanglantera le pays tout au long des années 1960 ». Ahidjo prend le relais de la France, « dans la lutte contre l’UPC » qui tombera vite « dans le terrorisme » avant d’être finalement « vaincue ».
Voilà donc, grosso modo, sous la plume d’un « spécialiste de l’histoire coloniale », le récit de la « Guerre oubliée du Cameroun ».


Mais que disent d’autres sources, à propos de ces événements ? Pas très difficile de le savoir, puisqu’une « couverture médiatique » leur a été accordée en son temps puisque des « travaux d’historiens » leur ont été consacrés.
D’abord, quelques faits. Le parti de Um Nyobé ne s’appelle pas l’Union des populations camerounaises, comme le dit à répétition le « dossier », mais bien Union des Populations du Cameroun.

Ensuite, l’accusation qui est faite à l’UPC d’avoir déclenché les émeutes. Voici le témoignage d’un autre historien : « Le mémorandum du gouvernement français attribuera plus tard, à tort, l’ensemble des responsabilités à l’UPC » [3]. Rappelons que 85 mandats d’arrêts sont délivrés, dont un pour…Um Nyobé, qui réside, depuis plusieurs semaines déjà, dans sa région natale, loin du théâtre des opérations. Plus curieux encore : quand les émeutes sont déclenchées, Um Nyobé est en train de…« mener une campagne en faveur de l’organisation d’un référendum dans le pays » [4].

Encore des faits : tout le monde sait que l’UPC n’était pas un parti communiste, ni marxiste, ni même marxisant. Il est clair que l’accusation de « communisme » permet à tout le monde – l’Eglise et l’administration coloniale, notamment – de justifier la répression féroce. L’UPC n’a jamais eu d’idéologie politique au sens propre. Cela n’empêche pas que ses membres, tout comme ses dirigeants, aient eu des « affinités », des « sympathies » tantôt socialistes, tantôt marxistes, tantôt communistes, tantôt religieuses, etc. En fait, pour le parti de Um Nyobé, la seule chose qui compte, c’est l’Indépendance, qui « passe avant le pain journalier », comme il le disait lui-même. Pour cela, peut importe la chapelle à laquelle on appartient, du moment que le but est de l’atteindre, immédiatement et sans conditions.

L’auteur du « dossier » nous dit aussi quelque chose de curieux : « certains parlent du massacre de 300000 à 400000 personnes… Une estimation d’autant plus fantaisiste qu’elle excède le chiffre total des habitants du pays bamiléké, principal théâtre du conflit ». Lors d’un discours dans le fief de Um Nyobé en 1956, le premier ministre de l’époque, André-Marie Mbida, parle des « 460000 habitants de la région Bamiléké » [5]. Quand on sait que «dès les premiers mois de 1965, cinq bataillons ratissent la forêt du Sanaga et répriment brutalement les rebelles » (Roger Faligot et Pascal Krop [6]) quand on sait que « 156 petits villages du pays Bassa, en 1960-1961, avaient été rasés » parce que soupçonnés d’abriter des upécistes (Van de Lanoitte [7]) quand on sait que « entre Douala et Bafoussam, près de 400000 Bamiléké sont en dissidence » (Georges Chaffard [8]), etc. , on comprend mieux les propos d’un témoin célèbre : Max Bardet. Pilote d’hélicoptère, il était présent au Cameroun entre 1962 et 1964. Il témoigne : « En deux ans, l’armée régulière a pris le pays bamiléké du sud jusqu’au nord et l’a complètement ravagé. Ils ont massacré de 300000 à 400000 personnes. ´Un vrai génocide. Ils ont pratiquement anéanti la race´ » [9].

Le témoignage de Bardet est impressionnant. Il ajoute : « A la fin de la guerre, j’ai fait une prospection d’un mois avec un administrateur général (…). Il était indigné. Ce n’est pas possible, tous ces villages morts, où sont les habitants ? ´Les villages avaient été rasés, un peu comme avec Attila´ » [10].

Le bilan de la guerre est-il « évidemment très exagéré », comme l’affirme l’auteur du « dossier » ? L’estimation de 300000 à 400000 est-elle « d’autant plus fantaisiste qu’elle excède le chiffre total des habitants du pays Bamiléké, principal théâtre du conflit » ? A chacun de voir.


L’auteur du « dossier », quant à lui, estime que « plus vraisemblablement, la guerre a fait plusieurs dizaines de milliers de morts, principalement des victimes de la ´guerre civile´, après l’indépendance » [11].

Tiens ! On avait oublié qu’il y avait aussi une guerre civile là-bas ! Et comme tout le monde sait, les guerres civiles, là-bas, font toujours des milliers de victimes. Morale : pas tant de victimes que ça ! Et puis, c’est le fait de la guerre civile, pas de l’action coloniale, voyons !

Un véritable chef-d’oeuvre, ce « dossier » sur les Massacres du Cameroun. Pas facile, en effet, de parler de guerre, sans mentionner un seul instant les lance-flammes, les bombardements au napalm, les ratissages, les avions, les villages rasés, etc. Il y en a qui réussissent à préparer des pizzas sans farine...

Inutile, à ce stade, de revenir sur des expressions telles que « Ruben Um Nyobé retire l’UPC du jeu normal des élections », « Alors que la France est empêtrée dans la guerre d’Algérie, avec le Cameroun, elle triomphe sur la scène internationale ».
Par contre, il est important de voir les leçons que notre « spécialiste » tire des événements sanglants de cette période.

L’auteur du « dossier » pense que cette guerre « a contribué à fonder un Etat ´solide´ et à ´souder´ la population malgré son hétérogénéité aussi bien ethnique que politique » [12]. Une guerre civile qui fonde un Etat solide et qui soude une population : de nouvelles pistes à explorer pour sociologues, anthropologues et autres. Ultime prouesse du « dossier » : mêler Mongo Beti à cette sauce fétide, lui qui, toute son œuvre durant, n’a eu de cesse de dénoncer les colons français, ceux d’hier et d’aujourd’hui. Il se retournerait dans sa tombe, l’auteur de Main basse sur le Cameroun.

Conclusion épique du « dossier » : « En définitive, cette guerre a été oubliée parce qu’elle avait été gagnée à peu de frais – les principaux combats ayant été livrés par le ´régime indépendant´ héritier » [13].

Il a raison, Marc Michel. Quelques fusils, peu de munitions, quelques blindés, c’est effectivement « peu de frais », quand on voit les résultats obtenus : un territoire pacifié, une rébellion anéantie, des populations terrorisées et traumatisées.
Il a raison sur un autre point. Les principaux combats ont été « livrés par le régime indépendant héritier ». Paris et la France n’ont rien à y voir. Le colonel Noiré, « conseiller direct du président Ahidjo » (Pascal Krops), n’a rien à y voir. Le capitaine Leroy, « responsable des troupes de choc de l’armée camerounaise (…) qui dirige en direct la guerre bamilékée » (Pascal Krops), n’a rien à y voir. Le capitaine Agostini, officier de renseignement, chef du commando qui tua Um Nyobé dans la forêt, n’y est pour rien. Le lieutenant-colonel Lamberton, commandant des troupes du Sud-cameroun, et Daniel Doustin, délégué du Haut-commissaire Jean Ramadier, tous patrons d’Agostini, n’y sont pour rien. Michel Débré, premier ministre français, n’y est pour rien. Ainsi de suite ! Voilà comment on écrit l’Histoire en 2007.

Si ce ne sont pas des histoires qu’on nous raconte là…

Marcel-Duclos Efoudebe

P.S. Dans son témoignage, Max Bardet ajoute, à propos des événements sanglants du Cameroun : « la presse n’en a pas parlé ». Malgré la « couverture médiatique » dont parle le « dossier ». Il était probablement distrait, Max…

[1] C´est moi qui souligne.
[2] Idem.
[3] Le témoignage est d´Achille Mbembe dans la présentation du livre Le problème national kamerunais de Um Nyobe, L´Harmattan, Paris, 1984. C´est moi qui souligne.
[4] Achille Mbembe, op. cit., page

[5] Cité par Achille Mbembe, op. cit., page
[6] Lire La piscine de Roger Faligot et Pascal Krops, Éditions du Seuil, Paris, 1985, page 238.
[7] Cité par Mongo Beti dans Main basse sur le Cameroun, Éditions des peuples noirs, Rouen, 1984, page 96.
[8] Cité par Mongo Beti, op. cit., page 84.
[9] C´est moi qui souligne.
[10] C´est moi qui souligne. Qui ne connaît pas le terrible roi des Huns qui « ravagea la Gaulle et pilla l´Italie » (Larousse 2004) ? Le témoignage de Max Bardet est cité par Pascal Krops dans Les secrets de l´espionnage français, Payot & Rivages, Paris, 1995, page 510.
[11] C´est moi qui souligne.
[12] C´est moi qui souligne.
[13] Idem.

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